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39 ‖ JUIN 2024

Abdoul Razak Aboubacar Seydou

Dynamique du mouvement Izala à travers son origine et son évolution dans la ville de Zinder

Article

Résumé

Le Niger est de toute évidence, l’un des pays les plus islamisés en Afrique de l’Ouest. Le paysage religieux au Niger a été de tout temps dominé par l’islam des confréries. Cependant, l’avènement du courant démocratique au début des années 90 favorisant une certaine liberté d’expression et de culte a permis l’émergence d’un courant réformiste dénommé Izala au Niger et plus particulièrement à Zinder. En effet, la Izala née au Nigéria vers la fin des années 70, est un mouvement associatif proche du courant Wahabite-Salafiste qui prône le retour des musulmans aux valeurs intrinsèques et orthodoxes de l’islam comme l’ont enseigné le prophète et ses compagnons. Ce mouvement malgré l’opposition de certains milieux Soufis et de la Tidjaniyya s’est propagé d’abord au Nord du Nigéria puis dans les pays voisins notamment le Niger. Zinder, chef-lieu de ladite région compte tenu de sa proximité géographique, linguistique et culturelle avec le Nigéria a très tôt été ‘’envahi’’ par le discours des leaders de ce mouvement. Les moyens utilisés par ces derniers sont entre autres : les cassettes audio et les prêches récurrents organisés par les prêcheurs venus du Nigéria. Ils viennent à Zinder sous l’invitation des tenants du mouvement de la ville. Néanmoins, les débuts de la propagande du mouvement ont été très difficiles à cause non seulement de l’adversité des oulémas de la ville mais également de l’autorité coutumière. S’adressant le plus souvent aux jeunes, aux scolaires et à une tranche de commerçants aisés, le mouvement a réussi à s’implanter et de façon durable au point de rivaliser avec l’islam des confréries. Le mode d’action est surtout les prêches (en arabe khutbat ou Waaz en hauossa), les prêches périodiques (wahazin kassa) et la promotion de l’islam à travers des centres d’étude islamique (makaranta-Izala).

La méthodologie utilisée dans le cadre de ce travail a consisté à lire d’abord des productions scientifiques relatives à l’islamisation du Niger. Puis, nous avons récolté des informations auprès de certains acteurs et témoins de l’évolution de la Izala à Zinder. Cette approche nous a permis d’aboutir aux résultats suivants : l’avènement de la Izala à Zinder est intervenu à l’ère de la démocratisation du Niger. Le début de la Izala à Zinder a été très mouvementé et marqué surtout par des violences avec les adeptes du milieu confrériques. Néanmoins, on constate qu’aujourd’hui, les rapports avec les autres sectes religieuses sont devenus flexibles et la Izala s’impose de plus en plus à Zinder avec une machine de propagande qui est l’éducation.

Abstract

Niger is obviously one of the most Islamized countries in West Africa. The religious landscape in Niger has always been dominated by the Islam of the brotherhoods. However, the advent of the democratic current in the early 90s favoring a certain freedom of expression and worship allowed the emergence of a reformist current called Izala in Niger and more particularly in Zinder. Indeed, the Izala born in Nigeria towards the end of the 70s, is an associative movement close to the Wahabite-Sallafist current which advocates the return of Muslims to the intrinsic and orthodox values ​​of Islam As taught by the Prophet and his companions. This movement, despite the opposition of certain Sufi circles and the Tidjaniyya, first spread to northern Nigeria and then to neighboring countries, notably Niger. Zinder, the capital of the said region, given its geographical, linguistic and cultural proximity to Nigeria, was "invaded" very early on by the discourse of the leaders of this movement through audio cassettes and recurrent sermons organized by the preachers come from Nigeria under the invitation of the supporters of the movement in the city. Nevertheless, the beginnings of the movement were very difficult because of the adversity of the ulama of the city but also of the customary authority. Most often aimed at young people, schoolchildren and a slice of wealthy merchants, the movement has managed to establish itself and sustainably to the point of competing with the Islam of the brotherhoods. The mode of action is mainly sermons (khutbat), periodic sermons (wahazin Kassa) and the promotion of Islam through Islamic study centers (makaranta-Izala).

The methodology used in this work consisted of first reading scientific productions relating to the Islamization of Niger. Then, we collected information from certain actors and witnesses of the evolution of the Izala in Zinder. This approach allowed us to achieve the following results: the advent of the Izala in Zinder took place during the era of democratization in Niger. The start of the Izala in Zinder was very eventful and marked above all by violence with followers of the brotherhood community. Nevertheless, we see that today, relations with other religious sects have become flexible and the Izala is increasingly imposing itself in Zinder with a propaganda machine which is education.

Texte intégral

7-24

01/06/2024

Introduction

1Au Niger, la libre expression religieuse au début des années 90 et la multiplication des associations islamiques qu’elle favorise ont permis l’occupation de l’espace public par des courants théologiques et réformistes. En effet, l’avènement du régime démocratique au Niger au début des années 90 constitue le point de départ de la floraison des mouvements islamistes réformistes. L’institutionnalisation de l’islam d’Etat sous le régime de Kountché jusque-là ‘’confrérique’’ sera contestée par de nouvelles institutions ou associations religieuses. C’est le cas de Zinder, ville cosmopolite majoritairement musulmane où domine l’idéologie Soufie, de la Tidjaniyya et de la Qadiriyya verra émerger au début des années 90 le mouvement réformiste Izala. Il est évident que ce mouvement depuis son apparition au Niger a fait une percée spectaculaire surtout en zone urbaine dans les milieux des jeunes et des scolaires.

2Les questions que l’on se pose est de savoir quelle est la genèse de la Izala à Zinder ? Quelle réaction les sectes religieuses auront-elles face à la Izala ? Comment le mouvement œuvre-t-il pour s’implanter à Zinder au point de rivaliser avec les confréries sectaires ?

3Ce travail a pour objectif de cerner les origines de la Izala à Zinder, son idéologie, les actions initiées pour son développement, c’est-à-dire les instruments de propagandes de ce mouvement.

4Ainsi, pour étayer notre analyse sur cette problématique, nous avons adopté la méthodologie de type qualitative qui a consisté à explorer certains travaux scientifiques relatifs à l’islamisation du Niger notamment depuis l’avènement du régime démocratique. Puis, à travers un travail de terrain, nous avons pu nous entretenir avec certains acteurs de la Izala à Zinder. Le travail d’enquête nous a permis d’échanger principalement avec deux (2) principaux informateurs. Le choix porté sur ses deux personnes est lié à leur connaissance sur la question et aussi le fait qu’ils ont été témoins de l’émergence de la Izala à Zinder.

La Izala à travers ses origines nigérianes et son idéologie

5Les tentatives de réforme de la pratique de l’islam est un fait assez courant dans l’évolution des sociétés musulmanes. A l’époque précoloniale, dans ce qui constitue le Bilad al Soudan le fondamentalisme islamique a longtemps été présent, notamment au nord du Nigéria. Cela est vrai depuis l’époque d’Ousman Dan Fodio, prédicateur musulman ayant établi le califat de Sokoto en 1804.1

6Historiquement, la Izala a émergé au Niger à travers deux canaux de diffusion. Le premier canal concerne la voie orientale où depuis les années 60 : « des Nigériens en provenance du Soudan et des pays du Proche et du Moyen orient [ont] introduit [la Izala] au Niger.2» Le second canal de l’émergence de la Izala est la voie nigériane et c’est par cette voie qu’elle a émergé à Zinder. En effet, c’est à la fin des années 70 que le mouvement a été créé par Abubakar Gumi et Ismaila Idriss. Selon Cheick Illiassou Abdallah : 

Le mouvement Izzala est né au Nigéria. L’instigateur de ce mouvement est Malan Abubakar Gumi. Les raisons qui l’on poussé à penser à réformer l’islam sont l’enracinement des pratiques contraires à l’islam dans les mœurs des musulmans. Il s’agit entre autres du syncrétisme religieux qui est une combinaison de l’islam et du culte animiste notamment le bori ou la dévotion à des esprits (génies surnaturels). Dans cette pratique, le plus souvent, l’objet recherché est soit la richesse, le pouvoir et la volonté de nuire à une personne. Cette nuisance consiste à jeter un sort sur la personne pour la rendre folle ou la rendre malade, la pousser à l’exile, ou même la tuer. La magie consiste à utiliser les versets du coran et les pouvoirs mystiques que confèrent ces génies aux marabout- féticheurs. Ce sont ses pratiques que dénonce Abubakar Gumi à travers ses prêches le plus souvent en langue haussa. Son souhait à travers ses prêches n’est rien d’autre que de voir les musulmans retourner dans la pratique de l’islam sunnite, un islam où le coran et les hadiths sont les seuls et uniques sources de la pratique de l’islam.3

7Sounaye Abdoulaye va dans le même sens que le Cheick Illiassou en parlant de l’idéologie des izalistes et souligne que les izalistes :

ont la particularité d’emprunter le mode associatif pour promouvoir une culture de rupture par rapport à tout ce qu’ils considèrent comme innovation nuisible (bidi’a) à la sunna. Aussi, non seulement ils veulent se démarquer de tout ésotérisme et de ses implications sociales et politiques, mais surtout ils ambitionnent de constituer un rempart contre les effets destructeurs de la bidi’a. Pour ces anti-suffis, il s’agit donc de promouvoir un puritanisme religieux afin de préserver l’orthodoxie islamique.4

8Mieux encore, à travers une interview de Suleyman Oumar, Sounaye rapporte que :

One of the distinctive features of Izala discourse resides in its critique of Sufism as a theological stance, but also a practice that has incorporated various socio- cultural elements foreign to the Islamic tradition. Thus, Izala was not only the Sufi foe, it also rejects popular associationism that combines syncretism and polytheism deemed African with Qurʾānic and Islamic practices. In fact, early on, Izala set out to de-Africanize Islam and reinstate what it viewed as proper Islamic practice by rejecting al-adu (local customs in Hausa) and shirk (idola- try) that are believed to have corrupted Islam. Reaffirming two principles of Salafi creed, in particular the oneness of God (tawḥīd) and the completeness of the Islamic tradition as delivered by the Prophet, Izala condemned the dilution of Islam with unlawful practices, and took on itself to “sanitize our religion.5

9Il est assez logique que le fond de la pensée du mouvement Izala repose sur un rejet de l’idéal des confréries sectaires. Il convient par conséquent de souligner que la Izala ne constitue pas en soi une secte comme le Soufie, la Tariqa Tijaniyya ou la Qadiriyya. Elle est en effet, un mouvement associatif qui prône la rupture avec les pratiques peu orthodoxes de l’islam telles que : la pratique du mawlid (fête célébrant l’anniversaire du prophète Mohamed), les pratiques occultes qui s’apparentent aux shirk (l’association d’une divinité à Dieu), la rupture avec les guides religieux ou cheick qui sont souvent ‘’vénérés’’. Le mouvement dénonce le port de talisman (laya) auxquels certains adeptes des milieux sufis accordent des vertus magiques et préservatrices. On peut citer aussi le rubutu6, qui est une pratique qui consiste à écrire les versets du coran sur un allo (une ardoise) et boire ces versets. Le but de cette pratique est la recherche de la santé, d’un bien matériel ou même la protection divine.

10Les critiques concernent aussi la fatiya da salatu fati. Il s’agit d’invocations faites après chaque prière quotidienne pour lesquelles les izalistes ne trouvent aucun fondement légal ni dans le Coran, ni dans les hadiths.

11Enfin, en simplifiant ou parfois en remettant en cause certaines pratiques coutumières comme les dépenses excessives à travers les mariages, les baptêmes et autres cérémonies, les izalistes ont réussi à attirer une partie des populations déjà exaspérées et en quête d’un souffle nouveau dans l’arène sociale et religieuse.

12Pour Hassan Ibrahim : « le but de la Izala est de placer le croyant au centre de la foi et l’extirper des anciennes pratiques vers le droit chemin, le chemin de la sunna qui n’ont que le coran et les hadiths comme références.7 » Le mouvement se veut alors comme un mot d’ordre d’éveil et de conscientisation, de rappel aux croyants en vue d’un retour immédiat à l’islam orthodoxe.

13Par cette analyse, on peut cerner la Izala comme un mouvement réformiste et contraire aux anciens courants islamiques. Le mouvement s’inspire du wahhabisme qui est en effet :

Un mouvement arabe, religieux et politique résultant d’une alliance (en 1744) entre le religieux Muhammed ibn Abd al-Wahhab ash- Shaykh et le politique Muhammed ibn Saud. Leur but commun était de construire un Etat sunnite qui s’étendrait (…) à l’ensemble des pays arabes, en restaurant l’Islam dans sa pureté originelle tout en rejetant les innovations condamnables et les superstitions8.

14Par conséquent, le wahhabisme comme le mouvement Izala s’identifie à un ‘’islam originel’’ c’est-à-dire l’Islam comme le pratique le Prophète, ses compagnons et les pieux prédécesseurs. Les seules sources de référence dans la pratique islamique des izalistes sont le coran et les hadiths. Le mouvement réfute toute sorte d’innovation qu’il qualifie de bidi’a d’où son appellation arabe : Jama’at Izalat al Bid’a Wa Iqamat as Sunna (société pour l'élimination de l'innovation et le rétablissement de la tradition).

15C’est par ce ‘’discours nouveau’’ que certains marabouts convaincus du bienfondé du message de la Izala tentent d’assoir ce mouvement à Zinder bien que la présence de l’islam à Zinder ne date pas d’hier.

Naissance de la Izala à Zinder et sa difficile acceptation dans le milieu des confréries

16L’avènement du régime démocratique et la libre expression religieuse qu’elle occasionne ont permis à la Izala de prospérer à Zinder. Néanmoins, la Izala a dû faire face à l’opposition des courants religieux secteurs dont la présence à Zinder ne date pas d’hier.

Zinder, un vieux centre islamique

17Avant d’aborder l’avènement du mouvement réformiste de la Izala à Zinder, il convient de rappeler le fait islamique dans cette localité. En effet, l’avènement de l’islam à Zinder s’inscrit dans la seconde face de l’islamisation de soudan central (15e-18e siècle). Selon Maikoréma, au cours de cette période : « on note une avancée certaine de l’islam au niveau des couches dirigeantes et dans certains centres urbains.9 » Ainsi, l’islamisation de la région remonte au 16e siècle et est l’œuvre de commerçants arabo-berbères venant du Maghreb. Les vagues de migrations de populations venant du Bornou au cours de la période du 16e au 17e siècle contribuent également à l’islamisation du Damagaram. Il faut attendre l’année 1840 pour que l’Islam devienne la religion d’Etat au Damagaram sous le règne du sultan Tanimoune.

L’histoire de l’islam au Damagaram (Zinder) est indissociable de la personne du sultan Tanimoune (1841-1844 puis 1852-1865) qui entreprit la construction de la première mosquée de vendredi et l’indépendance du Damagaram vis-à-vis du royaume Bornou. Il y instaura un régime quasi islamique dont l’un des indicateurs est sans doute la gravure du plus important verset du coran sur le mur juste au-dessus de son trône. Il s’agit en l’occurrence de « ayatul-kursiyu », le verset 255 de la sourate deux (2), que certains francophones traduisent par « le verset du trône ». Ainsi à travers lui, s’est développée l’animation religieuse à Zinder avec la mosquée de vendredi et l’ouverture des cercles d’apprentissage de l’islam.10

18Dans le même contexte, l’œuvre du Sultan Tanimoune en faveur de l’islam a permis de développer d’importants centres d’étude islamique (makaranta allo) dont les plus anciens se trouvèrent au tour du quartier de Birni et dans les plus anciens quartiers de la ville à savoir N’Walla, Garim Malam, etc.. Ces centres d’étude islamique ont considérablement contribué à diffuser le message de l’islam, à diffuser la science, la langue et l’écriture arabe. L’idéologie d’un islam des confréries a sans doute contribué à faire émerger un islam plus rigoriste proche du milieu wahhabite qu’est la Izala.

L’avènement de la Izala à Zinder

19Contrairement au Nigéria où le mouvement Izala est l’œuvre d’une certaine classe de marabouts, l’avènement de la Izala à Zinder est un fait lié au contact entre le Nord Nigéria et le Niger. En effet, la proximité géographique entre Zinder et Kaduna11 a permis au mouvement de la Izala de prospérer à Zinder. L’outil ayant véritablement servi à cette propagande est la Radio Kaduna qui diffuse les waazi (prêches) de Abubakar Gumi et certains de ses disciples. Le message qu’ils prêchaient a rapidement eu un écho dans la ville de Zinder.

20Très tôt, les jeunes, les scolaires, les commerçants et même des personnes âgées s’intéressent à leurs messages. Par la suite, ce sont les enregistrements audio-visuels notamment les cassettes qui serviront d’objet de diffusion. A ce sujet, il faut noter le rôle important qu’ont joué les commerçants de la ville de Zinder qui se rendent fréquemment au Nigeria pour leurs affaires. Ils ont pour la plus part lors de leur séjour d’affaires assisté aux prêches d’Abubakar Gumi ou ceux de ses disciples. De retour du Nigéria, ces commerçants se procurent des cassettes qu’ils amènent de leurs voyages et partagent avec leurs proches. C’est par le biais de cette nouvelle approche de l’islam qu’un groupe de jeunes marabouts ayant été convaincus du bienfondé de la Izala se constitue dès le début de l’année 1991 en groupe dénommé : Kounguia Izala (groupe des Izala) appelé Dini Islam12. La reconnaissance officielle n’interviendra qu’en février 1993. La première mosquée izaliste communément appelé massalaci Izzal était celle construite au quartier Majema. Cette mosquée devient un cadre de rencontre, d’échanges et de partages de connaissances islamiques.

21L’Association Dini Islam ainsi créée est à l’image de la Jama’at Izalat al Bid’a Wa Iqamat as Sunna du Nigéria. Sans trop rentrer dans une biographie exhaustive des premiers marabouts instigateurs de la Izala à Zinder, on peut citer entre autres l’imam Magagi Kaché, Malam Issa Kaya, Malam Chaibou, Elh Hassan Issa Rahama, etc.. Chacun à sa juste modestie a contribué à l’émergence du mouvement à Zinder.

22Ce groupe de marabout se lance dans les waazi (prêche) dans les quartiers de la ville de Zinder et même dans les villages environnants. Ils invitent même des marabouts du Nigéria pour soutenir leur effort de prosélytisme. C’est ainsi que le 20 janvier 1991 eut lieu au quartier Majema le premier prêche d’un marabout Izala du Nigéria à Zinder en la personne de Ibrahim Bawa Mai Chikawa. Par la suite, d’autres marabouts du Nigeria comme Djaffar Adam, Ben Ousman séjourneront à Zinder toujours dans le but de diffuser la propagande izaliste.

23Néanmoins, l’ampleur que prend le mouvement dans la ville de Zinder ne serait pas du goût des marabouts des sectes des confréries. C’est ainsi que le mouvement fera face à une opposition farouche au courant de l’année 1992.

La contestation de la Izala à Zinder

24Tout comme les débuts de l’Islam en Arabie en 610, la Izala a fait l’objet un rejet de la part de l’élite musulmane de la ville de Zinder. Les reproches faits au mouvement se résument dans les propos de Cheick Illiassou Abdallah :

Lorsque notre mouvement commençait à prendre de l’ampleur et à être accepté par les jeunes, les marabouts de la ville qui sont pour la plupart nos maîtres et nos parents s’en prennent ouvertement à nous. Ils nous reprochaient de faire l’apologie d’un ‘’nouvel islam’’, de propager de fausses idées sur l’islam et de corrompre la jeunesse (…). Même notre style vestimentaire n’était pas épargné car, pour la plupart d’entre nous, nous étions jeunes et notre habilement était la veste appelée trois pièces.13

25Ainsi, le point culminant de la contestation du mouvement a été la volonté des izalistes de construire une mosquée de vendredi pour la prière du jour saint de l’islam. L’objectif était pour les izalistes de se démarquer des autres et d’affirmer la percée de leur mouvement dans la ville. L’ouverture de la mosquée était prévue le vendredi 3 juillet 1992. Rapidement, les adversaires des izalistes sous l’instigation de certains marabouts hostiles au mouvement prennent d’assaut le lieu choisi pour la prière, c’est-à-dire la devanture de la grande gare de Zinder. Après quelques échauffourées, la police ayant été mobilisée par les autorités administratives de la ville intervient et parvient à calmer les ardeurs des uns et des autres.

Cheick Illiassou a ajouté que :

La méthode et le mode de contestation choisis par nos adversaires pour éteindre notre mouvement n’a pas marché car, notre mouvement a bénéficié d’une certaine légitimité. Il est venu à l’ère de la démocratie et la démocratie a accordé à tous le libre choix de son culte. Des associations des droits de l’homme nous ont même soutenus (…).14

26Malgré les tensions, et après une médiation du préfet, le lieu de la prière fut délocalisé à la mosquée de Majema qui était jusque-là une mosquée de prières quotidiennes des izalistes. Cette mosquée y demeure la seule mosquée de prière de vendredi pour les adeptes de la Izala jusqu’en septembre 1999 date où les izalistes se dotent d’une nouvelle mosquée. Il s’agit de la Markaza hali-sunna de Karkada. Cette mosquée est aujourd’hui le centre de référence des izalistes de Zinder.

27Par ailleurs, Cheick Illiassou ajoute qu’ « après les tensions au courants du mois de juillet de cette année 1992, et la relocalisation de notre lieu de culte, nous n’avons plus eu d’autres problèmes et notre mouvement a continué à prospérer de jour en jour.15»C’est ainsi que les izalistes par des méthodes assez nouvelles réussissent à étendre leur idéologie dans toute la ville de Zinder et dans les environs. Derrière cette capacité de mobilisation se trouvent des organisations de propagande assez innovantes.

Le mode de propagande de la Izala à Zinder

28Malgré que Zinder soit un fief de l’islam des confréries, le mouvement Izala a su prospérer et à gagner du terrain. Cette avancée spectaculaire est le résultat d’une bonne organisation et d’un travail méthodique des différentes associations qui œuvrent dans la propagande du mouvement. Les voies de propagande des izalistes à Zinder sont : la dawa, les wazin kassa et la formation.

La dawa

29La notion de la dawa est une notion arabe qui aux premières heures de l’islam incite les humains à la conversion à l’islam. La dawa constitue aujourd’hui un appel ou un rappel aux musulmans à un retour à l’islam orthodoxe. Pour Mohsen Ismail : « La dawa est l’invitation, l’appel, la demande et l’incitation à faire certaines choses ou s’en abstenir. (…). Ce terme désigne la prédication, l’appel fait par les prophètes aux gens pour qu’ils se convertissent à la religion dont ils sont transmetteurs du message. 16»

30En conséquence, la mission des prédicateurs au service de la dawa consiste à perpétrer le message de l’islam en mettant en avant la conversion à la religion musulmane, le retour des musulmans aux impératifs du coran et de la sunna et le rejet de toutes les formes d’adoration contraire aux enseignements du prophète. Les lieux choisis pour la dawa sont les mosquées, les fadas (assemblée), les lieux de cérémonies, les voyages dans les villes et campagnes.

Les wazin kassa

31Littéralement, le wazin kassa signifie ‘’prêche national.’’ Il s’agit d’une forme de rénovation dans la pratique de la daawa. Il faut y voir à travers le waazin kassa l’expression d’une vie religieuse, sociale et économique rénovée par le biais de la religion. Ces rencontres périodiques souvent annuelles et délocalisées d’une ville à une autre de façon rotative et régionale, permettent aux grands marabouts izalistes venus du Nigéria, du Bénin, du Togo et du Ghana de se retrouver dans la ferveur religieuse, de débattre et conscientiser les populations sur diverses thématiques liées à l’islam et des thématiques d’actualité. C’est l’occasion de mesurer l’ampleur et l’assise de la sunna dans la localité, d’échanges culturels et économiques à travers les foires. Ces foires sont animées par des commerçants venus de plusieurs localités du Niger et d’autres pays. Des produits de la médecine prophétique, la pharmacopée traditionnelle, des enregistrements sur clés USB et cartes mémoires des grands marabouts de renommés, des livres, des vêtements, des chaussures, des épices, et autres produits sont marchandés et exposés aux yeux d’un public généralement acquis à la cause sunnite.

32Les wazin kassa sont enfin un moyen de solidarité et d’entraide car, ils permettent de collecter à travers des sadaka fissabilillah (aumône au nom de Dieu) des fonds destinés à des œuvres caritatives notamment la construction de mosquées, des centres de santé, d’orphelinats, des dons à des personnes en situation d’handicap ou à des orphelins. Ces fonds collectés servent même à tisser des mariages pour des personnes démunies.

La formation

33Elle est l’un des piliers de la vulgarisation du mouvement Izala et un moyen utilisé pour étendre l’influence de l’idéologie des izalistes. Cette formation se fait grâce aux makaranta-Izala qu’on peut appeler centre d’étude islamique rénové. En effet, les makaranta-Izala constituent le lieu d’initiation et d’apprentissage du coran, des hadiths, de la jurisprudence islamique et de conscientisation des apprenants sur leur rapport avec Dieu et leur vie sociale. Ces centres constituent également des lieux où s’inculquent des valeurs d’un islam orthodoxe. A l’image de l’école classique, les makaranta Izala de Zinder bénéficient d’infrastructures modernes financées le plus souvent par des ONG ou des associations caritatives saoudiennes, émiraties ou qataries. Il existe aujourd’hui à Zinder des dizaines de makaranta et sont structurés en fassils (classes) et les élèves sont évalués selon des critères pédagogiques modernes. Les apprenants souvent réparties selon les sexes dans les fassils, se distinguent par le port d’une tenue. Toutes ses spécificités des makaranta Izala leur ont valu l’appellation d’écoles coraniques rénovées.

34Au-delà des makaranta Izala, qui assurent la formation des jeunes, d’autres formations sont initiées pour des personnes en quête des connaissances islamiques. On peut citer entre autres les enseignements du Cheick Illiassou Abdallah. Ce dernier est aujourd’hui la référence dans les milieux des ali-sunna de Zinder pour sa science et son savoir islamique. Ses enseignements se déroulent quotidiennement dans la markaza hali sunna de Karkada. Ils portent sur la dawa, le Boulougoul Maram (les règles de vie en société), le Tafsir (l’interprétation du coran), etc..

35D’autre part, la formation périodique des imams (guides religieux) sous forme de séminaire est une forme d’initiative pédagogique. L’objectif est de rappeler aux guides islamiques les principes de la pratique de l’islam, etc..

La Izala : l’expression d’une vie sociale rénovée

36L’une des pièces maitresses de la propagande du mouvement Izala est selon Sounaye l’institutionnalisation ‘’d’une philosophie sociale égalitariste.17’’ Cette nouvelle approche sociale se démarque fondamentalement des pratiques anciennes jusque-là voulues et entretenues par les élites de l’islam des confréries. C’est ainsi que les izalistes rejettent toute opulence lors des cérémonies (mariage, baptême, décès). Ils prônent la modestie et refusent même certaines dépenses. A titre d’exemple, les fatiyas18 et tout ce qui va avec notamment le cola et les frais réservés aux marabouts pour leur implication lors des cérémonies sont dénoncés. Les izalistes se démarquent aussi par leur apparence physique et vestimentaire (longue barbe, la coupe du pantalon ne dépassant guère le tendon d’Achille…). Par ces approches sociales rénovées, les adeptes du mouvement Izala s’extirpent de l’ancrage identitaire culturel ancien vers un élan simpliste et pragmatique de l’Islam.

Conclusion

37Se proclamant adepte d’un islam authentique et garant de sa diffusion, la Izala est ce courant religieux proche du wahhabisme. A Zinder où elle est née dans l’ère de l’avènement démocratique, elle a su gagner du terrain. De sa difficile acceptation dans le milieu des confréries musulmanes, le mouvement est de toute évidence une force religieuse qui aujourd’hui s’affirme de plus en plus. Se démarquant du courant religieux ‘’conservateur’’, la Izala a donné un souffle nouveau dans le champ religieux et social. De plus en plus de personnes y adhèrent. En même temps qu’on avance dans le temps, on constate que la dimension politico-religieuse du mouvement prend une ampleur exceptionnelle en témoigne le nombre sans cesse croissant d’izalistes dans la ville de Zinder. Les daawa, les makaranta, les waazin kassa, les mosquées à obédience wahabite-salafiste dont le nombre ne cesse d’accroitre de jours en jour attirent beau nombre de fidèles et sympathisants. Néanmoins, la vision ’’légaliste’’, l’approche authentique et le dynamisme que connait le mouvement Izala permettront-ils à ce mouvement de surpasser l’islam des confréries dominant à Zinder ?

Bibliographie

Cheik Illiassou Abdallah, Imam de la Markaza ali-sunna de Zinder. Entretiens réalisé à Zinder le 04/12/2022.

Hassan Ibrahim, étudiant en Master en étude islamique à l’université de Say. Réalisé à Zinder le 12/12/2022.

DJARDAYE M. I. et al, « Les courants islamiques dans l’arène publique nigérienne depuis le discours de la Baule » in Revue ivoirienne d’Histoire, 2021, n°37, pp. 103 à 115.

MAIKOREMA Z., « l’islam au Niger » in AHN : Actes du premier colloque de l’Association des Historiens Nigériens. Niamey, édition Daouda, pp. 146-166.

MEUNIER O., Développement du Wahhabisme au Niger : analyse socio-historique la diffusion du mouvement Izala dans la ville de Maradi. (Article) http://www.researchgate.net/publication consulté le 20-01-2024.

MOHSEN I., « La notion du da’awa dans le texte coranique » in Histoire, Monde et Cultures Religieuses n°44, décembre 2017, pp. 137-165.

OUSSEINI MAMAN O. F., Dynamique des écoles coraniques dans la ville de Zinder de 1990 à 2020 : des ‘’Makarantar ‘’Allo’’ aux écoles coraniques rénovées. Mémoire de Master de sociologie, Université de Zinder, 2020, 109 pages.

SOUNAYE Abdoulaye, « La Izala au Niger : une alternative de communauté religieuse ». in Lieux de sociabilité urbaine, s.d, pp. 481-500.

« Irwo Sunnance yan-no: Youth Claiming, Contesting and Transforming Salafism » in Islamic Africa n°6,2015, pp. 82-108.

Notes

1 Lire à ce sujet l’article des Waldek L. et Shankara J., (2011) “Boko Haram: the evolution of Islamist extremism in Nigeria”, in Journal of Policing, Intelligence and Counter Terrorism, 6, pp.168-178.

2 DJARDAYE M. I. et al, « Les courants islamiques dans l’arène publique nigérienne depuis le discours de la Baule » in Revue ivoirienne d’Histoire, 2021, n°37, page 107.

3 Cheick Illiasou Abdallah, entretien réalisé à Zinder le 4/12/2022.

4 Sounaye Abdoulaye, « La izala au Niger : une alternative de communauté religieuse » in Lieux de sociabilité urbaine, s.d, page 481.

5 « Irwo Sunnance yan-no: Youth Claiming, Contesting and Transforming Salafism » in Islamic Africa n°6, 2015, p. 86.

6 Ruburu est un mot haussa qui signifie écriture.

7 Hassan Ibrahim, entretien réalisé à Zinder le 12/12/2022.

8 MEUNIER O., Développement du Wahhabisme au Niger : analyse socio-historique la diffusion du mouvement Izala dans la ville de Maradi. (Article) http://www.researchgate.net/publication consulté le 20-01-2024, page 3.

9 MAIKOREMA Z., « l’islam au Niger » in AHN : Actes du premier colloque de l’Association des Historiens Nigériens. Niamey, édition Daouda, page 147.

10 Soumana A. Cité par Ousseini Maman O. F., Dynamique des écoles coraniques dans la ville de Zinder de 1990 à 2020 : des ‘’Makarantar ‘’Allo’’ aux écoles coraniques rénovées. Mémoire de Master de sociologie, Université de Zinder, 2020, page 61.

11 La distance entre Kaduna et Zinder est de 480km soit environ 6h 30 de route.

12 Littéralement Dini islam signifie religion islamique. C’est la première association d’obédience sunnite-wahhabite créée par les izalistes à Zinder.

13 Cheick Illiasou Abdallah, entretien réalisé à Zinder le 4/12/2022.

14 Idem.

15 Idem.

16 MOHSEN I., « La notion du da’awa dans le texte coranique » in Histoire, Monde et Cultures Religieuses n°44, décembre 2017, page 138.

17 SOUNAYE Abdoulaye, « La izala au Niger : une alternative de communauté religieuse » in Lieux de sociabilité urbaine, s.d, pp. 481-500.

18 Ce sont des invocations faites lors des cérémonies de mariages, baptêmes et décès.

Pour citer ce document

Abdoul Razak Aboubacar Seydou, «Dynamique du mouvement Izala à travers son origine et son évolution dans la ville de Zinder», Mu Kara Sani [En ligne], Numéro, 39 ‖ JUIN 2024, mis à jour le : 16/10/2024, URL : https://revue-irsh.org:443/mukarasani/index.php?id=104.

Quelques mots à propos de :  Abdoul Razak Aboubacar Seydou

Doctorant, Département d’Histoire Université Abdou Moumouni de Niamey, Niger

razakaboubacar1@gmail.com