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41 ‖ juin 2025
Travail collaboratif et développement professionnel en mathématiques dans l’enseignement primaire en Côte d’Ivoire
Résumé
Comment se fait le travail collaboratif et le développement professionnel dans l’enseignement primaire en Côte d’Ivoire ? Pour traiter cette question de recherche, cet article s’inscrit dans une perspective interactionniste et a pour objectif de déterminer les mécanismes de la collaboration entre conseillers pédagogiques et enseignants du primaire dans l’enseignement des mathématiques. La démarche suivie s’appuie sur une étude de cas. L’Inspection de l’Enseignement Préscolaire et Primaire d’Abengourou Indenié est choisie comme terrain d’étude. Les conseillers pédagogiques ainsi que l’inspecteur d’enseignement préscolaire et primaire sont soumis à des entretiens visant à décrire les pratiques de travail collaboratif dans l’Inspection au cours de l’année 2019-2020. Les bulletins de visite de classe ainsi que certains rapports pédagogiques sont soumis à une analyse documentaire. Les données montrent dans un premier temps l’existence d’un dispositif de travail collaboratif mais qui reste essentiellement administratif. Ensuite, à travers une étude de cas sur l’enseignement des mathématiques, la nécessité de la collaboration entre équipe enseignante et conseiller pédagogique se manifeste à plusieurs niveaux : visites de classe, séances d’animations pédagogiques et classes critiques.
Abstract
How is collaborative work and professional development done in primary education in Côte d’Ivoire? To answer this research question, this article adopts an interactionist perspective. Its purpose is to determine the mechanisms for collaboration between pedagogical advisors and primary school teachers in mathematics education. The study is based on a case study. The Inspectorate of Pre-school and Primary Education of Abengourou Indenié is chosen as the field of this study. Educational advisor and the inspector of pre-school and primary education are interviewed. It is about to describe collaborative work practices in the Inspection in 2019-2020. The class visit bulletins as well as some pedagogical reports are observed. The results show at first the existence of a collaborative working arrangement but which remains essentially administrative. Then, through a case study on mathematics education, the collaboration between the teaching team and the pedagogical advisor is becoming necessary at several levels: class visits, educational facilitation sessions, and critical classes.
Table des matières
Texte intégral
pp. 118-134
01/06/2025
Introduction
1L’enseignement est un métier dont l’exercice ne peut être solitaire. Il met l’enseignant en relation avec un vaste réseau d’acteurs que sont les apprenants, les collègues, les encadrants pédagogiques, la hiérarchie administrative notamment. Exercer le métier, c’est d’abord « faire la classe ». Et à ce niveau, certains enseignants sont plus efficaces que d’autres. Il faut donc développer l’efficacité chez tous les enseignants. Dans ce sens, Patrick Rayou et Agnès Van Zanten (2004, p.140) notent que « les collègues jouent (…) un rôle essentiel dans l’ajustement au quotidien des pratiques professionnelles par le biais des encouragements, des critiques, des conseils ainsi que par celui de l’organisation commune d’activités ». Mais les échanges avec les collègues ont leur limite. L’efficacité enseignante nécessite bien plus, un travail collaboratif notamment dans une matière comme les mathématiques. Créer les conditions d’un travail collaboratif favorise le développement personnel dans l’activité exercée.
2Des auteurs ont proposés une définition du ‘’travail collaboratif’’. Bruillard et Baron (2009) relèvent notamment la « distinction entre travail coopératif et collaboratif. Pour aller vite, dans le premier, la division du travail aurait une nature inégale, tandis que la collaboration serait une forme de coopération ou les différents collaborateurs ont des rôles similaires dans la conceptualisation des tâches et dans l’intervention commune ». Beaumont C. et al (2011) donnent pour leur part, les caractéristiques propres aux pratiques collaboratives. Pour eux, la collaboration doit être volontaire. Elle doit nécessiter la parité entre les participants et être basée sur la poursuite de buts communs. Elle implique alors le partage des responsabilités car les personnes collaborant doivent partager leurs ressources. Elles doivent également estimer et valoriser ce mode d’interaction interpersonnelle tout en cultivant un sentiment d’appartenance dans une ambiance de confiance mutuelle.
3Dans leur préface, Cyrielle Le Her et Jean Adote-Bah Adotevi (2021) expliquent qu’en retenant le thème de travail collaboratif, pour le séminaire international, l’objectif est de « valoriser les expériences de certains pays en la matière, initier un échange et dessiner des pistes d’amélioration du travail collaboratif entre enseignant.e.s. » Il s’agit de « renforcer l’encadrement de proximité pour les enseignant.e.s en s’appuyant sur les dispositifs existants (cellules pédagogiques, conseils d’enseignement intra ou inter-établissements, journées pédagogiques, réunions de secteurs pédagogiques...) ». Le séminaire poursuit des ambitions plus grandes dans la mesure où « se professionnaliser en collaborant est également un thème très structurant, car il s’agit d’une façon de repenser l’encadrement des établissements et des enseignant.e.s et donc le métier de conseiller pédagogique et d’inspecteur dans un contexte où une majorité de pays n’a pas de moyens suffisants pour un encadrement régulier des établissements par les inspections »
4Un texte présenté par Kouyaté Idrissa. (2021) illustre le fonctionnement du travail collaboratif dans les collèges de proximité en Côte d’Ivoire.
L’auteur présente le collège de proximité comme une petite unité créée pour permettre aux enfants de la communauté de parcourir moins de 5 km. Il est implanté entre deux ou trois villages afin de prendre en compte deux à trois écoles primaires. Ces collèges à « base 2 » comptent deux classes par niveau, de la 6e à la 3e, et doivent accueillir un total de 320 élèves à raison de quarante par classe. Ils sont animés par dix enseignants bivalents et cinq membres du personnel administratif et d’encadrement là où un collège ordinaire à « base 2 » réunit 18 enseignants monovalents et huit membres du personnel administratif et d’encadrement. La bivalence des enseignants convient à ces établissements de petite taille, car elle permet de maintenir des emplois du temps complets pour chaque enseignant. Les disciplines dispensées par les enseignants bivalents se regroupent en cinq blocs. En 2020, le pays enregistre 149 collèges de proximité publics qui représentent 7 % des établissements secondaires.
L’auteur donne ensuite le dispositif d’encadrement pédagogique mis en place depuis 2012 pour favoriser le développement professionnel des enseignants par la formation continue et la réflexion entre pairs. Sur le plan national, il cite la DPFC (Direction de la Pédagogie et de la Formation Continue) et la CND (Coordination Nationale Disciplinaire de la DPFC) ; Au niveau régional il y a l’APFC (Antenne de la Pédagogie et de la Formation Continue) et la CRD (Coordination Régionale Disciplinaire). Entre établissements proches, existe l’UP (Unité Pédagogique) inter-établissements qui regroupent les enseignants d’une même discipline de plusieurs établissements d’une même ville. A l’intérieur d’un établissement sont créés les CE (Conseils d’Enseignement) regroupant les enseignants d’une même discipline ou d’un même domaine de disciplines. Les cinq blocs disciplinaires dans les collèges de proximité sont les suivants :
-
le domaine des langues : français, anglais, allemand, espagnol ;
-
le domaine des Arts : arts plastiques, éducation musicale ;
-
le domaine des sciences : mathématique, physique-chimie, science de la vie et de la terre, TIC ;
-
le domaine de l’univers social : histoire-géographie, éducation aux droits de l’Homme et à la citoyenneté, philosophie ;
-
le domaine de l’éducation physique et sportive : EPS.
5Tout ce développement sur le fonctionnement des collèges de proximité montre bien que leur efficacité est liée aux interactions entre les différents acteurs. Ces interactions se font à la fois sur le plan vertical et horizontal. Verticalement, les acteurs de la Direction centrale (DPFC et CND) interagissent avec ceux de l’APFC et la CRD qui, à leur tour interagissent avec les enseignants regroupés dans les UP et les CE. Sur le plan horizontal, les interactions se font entre enseignants de la même UP, du même CE ou encore entre blocs disciplinaires.
6Le paradigme interactionniste montre ainsi son importance dans le fonctionnement des écoles. Exploité d’abord par Herbert Blumer, l’interactionnisme symbolique s’appuie sur trois fondements théoriques : « 1 : Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens que les choses ont pour eux ; 2 : Ce sens est dérivé ou provient des interactions de chacun avec autrui ; 3 : C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié ». Jean-Manuel de Queiroz, M. Ziolkovski (1994, p.31).
7Cette théorie montre que les faits sociaux se manifestant sur la scène scolaire sont intimement liés à l’accomplissement dynamique des membres. Ces faits se construisent au quotidien à travers les actes et les interactions des différents individus. Le travail collaboratif en cours dans l’enseignement du premier degré est bien une illustration de cette théorie interactionniste. Sur ce point, comment précisément le travail collaboratif et le développement professionnel se manifestent-ils dans l’enseignement des mathématiques au cycle primaire en Côte d’Ivoire ?
8Pour répondre à cette question, l’étude poursuit l’objectif de déterminer les mécanismes de la collaboration entre conseillers pédagogiques et enseignants du primaire dans l’enseignement des mathématiques.
Méthodologie de l’étude
9L’étude a lieu en 2021 et le site choisi est Abengourou, ville située à l’est de la Côte d’Ivoire. Cette ville présente l’avantage de réunir un Centre d’Animation et de Formation Pédagogique (CAFOP), des lycées et collèges, trois inspections d’enseignement préscolaire et primaire pour la gestion des écoles du premier et second degré.
Les personnes concernées sont celles exerçant dans l’IEPP d’Abengourou Indenié. Il s’agit précisément de l’inspecteur, des conseillers pédagogiques de secteur et des enseignants du primaire. En 2020-2021, cette inspection ne compte que deux conseillers pédagogiques qui se partagent la circonscription en deux secteurs pédagogiques : Dioulakro et Indénié. Un échantillon de 122 enseignants est constitué de manière raisonnée à raison de 61 par secteur pédagogique. Au cours de l’année, les conseillers pédagogiques de secteur organisent chez chaque enseignant retenu une observation directe d’une séance de mathématiques. Les 122 bulletins de visite produits sont analysés dans le cadre de cette étude. L’inspecteur est invité à participer à un entretien individuel tandis que les conseillers pédagogiques prennent part à un entretien collectif.
10La démarche privilégiée est l’interactionnisme. Les interactions entre acteurs de l’enseignement primaire constituent le moteur du travail collaboratif et du développement professionnel dans l’enseignement des mathématiques.
Les données collectées sont analysées de manière qualitative et quantitative.
Résultats
11Les données de l’étude sont présentées en deux temps. D’abord l’organisation administrative mise en place par le Ministère de l’éducation nationale pour favoriser le travail collaboratif et le développement professionnel des personnels est décrite par l’inspecteur interviewé. Ensuite, une étude de cas sur le travail des conseillers pédagogiques permet d’exposer la collaboration entre enseignants et encadrants pédagogiques dans l’inspection de l’enseignement préscolaire et primaire d’Abengourou Indenié.
Place du travail collaboratif dans l’organisation administrative du ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation
12La Côte d’Ivoire est subdivisée en trente et une régions administratives et deux Districts Autonomes. Mais compte tenu de la densité de la population scolaire elle compte depuis 2020, quarante et une Direction Régionale de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (DRENA) dont quatre dans le seul District d’Abidjan et deux à Bouaké. Selon la configuration géographique de certains Districts ou régions, cinq Direction Départementale de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (DDENA) existent pour servir de relais entre les DRENA concernées et les structures et établissements les composants. Il s’agit des régions de l’Agnéby-Tiassa (DDENA de Tiassalé, DRENA d’Agboville), du Haut-Sassandra (DDENA1 d’Issia, DRENA de Daloa), de la Marahoué (DDENA de Sinfra, DRENA de Bouaflé), du Sud-Comoé (DDENA de Grand-Bassam, DRENA d’Aboisso) et du Tonkpi (DDENA de Danané, DRENA de Man).
13Chaque DRENA est la représentation du Ministère de l’Education National et de l’Alphabétisation (MENA) en région. Elle est dirigée par un Directeur Régional nommé par arrêté avec rang de Sous-directeur d’Administration Centrale. Elle comprend une DDENA et un ou deux CAFOP selon les cas, une Antenne de la Pédagogie et de la Formation Continue (APFC), un Centre d’Information et d’Orientation (CIO), des Inspections de l’Enseignement Préscolaire et Primaire (IEPP), des lycées et collèges.
14Les 3475 écoles préscolaires et 18258 écoles primaires recensées en 2020 sont placées sous l’autorité hiérarchique directe des 297 Inspecteurs de l’Enseignement Préscolaire et Primaire, Chefs de Circonscription (selon le découpage officiel de 2020-2021). Régulièrement et à partir de correspondants en IEPP, l’enseignement du premier degré (préscolaire et primaire) travaille en collaboration avec 11 directions centrales. Il s’agit de la direction :
-
des Etudes Stratégiques, de la Planification et des Statistiques (DESPS) concernant la gestion de la carte scolaire : créations, ouvertures, extensions, changements de dénomination et fermetures des écoles ;
-
des Affaires Financières (DAF) pour l’équipement, les kits et manuels scolaires ;
-
des Ressources Humaines (DRH) en ce qui concerne les affectations et mobilités des enseignants ;
-
de la Pédagogie et de la Formation Continue (DPFC) pour la gestion, le suivi et la mise en œuvre des activités pédagogiques ;
-
des Examens et Concours (DECO), concernant l’organisation des examens et concours scolaires et pédagogiques ;
-
des Ecoles, Lycées et Collèges (DELC) pour le suivi de la gestion administrative des écoles ;
-
de l’Orientation et des Bourses (DOB) s’agissant de l’affectation en sixième des élèves de CM2 ;
-
de la Mutualité et des Œuvres Sociales en milieu Scolaire (DMOSS) pour le suivi et la prise en charge des élèves et enseignants handicapés, malades ou vulnérables ;
-
de la Vie Scolaire (DVS) en ce qui concerne la promotion de l’action coopérative en milieu scolaire ainsi que la détection et le suivi des jeunes talents dans le domaine des arts et des sports ;
-
de l’Animation, la Promotion et le Suivi des Comités de Gestion des Etablissements Scolaires (DAPS-COGES) pour la conception et la mise en œuvre des stratégies de mobilisation des ressources ;
-
des Cantines Scolaires (DCS) afin d’offrir un repas chaud par jour de classe pendant 18 jours de l’année scolaire dans certaines zones et tous les jours de classe dans d’autres zones surtout du nord dites défavorisées.
15La collaboration entre ces Directions centrales et les IEPP, en grande partie administrative, reste essentielle pour un déroulement normal des enseignements au cycle primaire. Ainsi, comment se fait l’encadrement pédagogique des enseignants titularisés sur le terrain ?
16Sur le plan de l’organisation pratique de l’encadrement et du suivi pédagogiques aux premier et second degrés de l’enseignement, la Côte d’Ivoire compte sept zones éducatives ou coordinations régionales de l’Inspection Générale de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation (IGENA) basées respectivement à Abidjan (sud), à Bondoukou (nord-est), à Daloa (centre-ouest), à Odienné (nord-ouest), à San-Pedro (sud-ouest), à Séguéla, et à Yamoussoukro (centre).
17Ces coordinations régionales, qui sont animées par des Inspecteurs Généraux et des Inspecteurs de l’Enseignement Secondaires, n’ont pas encore d’existence officielle actée. D’où aucun acte relatif à leur existence ne peut être cité en référence. D’ailleurs sur les sept coordinations dont la création a été projetée, et qui devrait être le début de l’académisation, seules celles de Yamoussoukro et de Daloa semblent fonctionner. Les autres ne le sont pas faute de personnel. Une telle situation suscite l’interrogation suivante : si ces coordinations venaient à avoir une existence juridique, quelle serait leur position par rapport aux Directions Régionales qui représentent actuellement le MENA en région ? L’absence de réponse à cette question pourrait justifier le manque d’évolution sur ce sujet.
18Le suivi et l’encadrement réguliers des 111321 enseignants dont 10236 du préscolaire et 101085 du primaire en 2019-2020, sont assurés par les 297 IEPP susmentionnés et environ 1188 Conseillers Pédagogiques de Secteur. Cela donne un ratio de 01 IEPP pour quatre CPS en moyenne, à partir d’une estimation empirique, un IEPP pour 375 enseignants et un CPS pour environ quatre-vingt-quatorze enseignants. Il va sans dire que le nombre d’encadrants pédagogiques des enseignants du préscolaire et du primaire est très insuffisant pour un travail efficient.
19Si l’encadrement pédagogique des enseignants titularisés demeure en deçà des besoins, que dire de celui des stagiaires issus des CAFOP ?
20Dans le cadre de la réforme des CAFOP, depuis l’année scolaire 2019-2020 la formation des élèves-maîtres se déroule désormais en trois années dont deux théoriques et une pratique sous forme de stage en responsabilité sanctionné par l’examen de titularisation dans l’emploi d’instituteur ou d’instituteur adjoint.
21Les trois années de formation au CAFOP se déroulent dans un bassin pédagogique comprenant tous les acteurs de la formation. Ce bassin est piloté par une équipe pédagogique constituée de l’administration du CAFOP, des responsables des ateliers disciplinaires ainsi que des Inspecteurs de l’Enseignement Préscolaire et Primaire, des Conseillers Pédagogiques de Secteur, des Directeurs d’école, des enseignants d’application ou conseillers des stagiaires et des stagiaires choisis parmi leurs pairs.
22Le travail collaboratif et le développement professionnel des acteurs de l’enseignement primaire s’inscrit ainsi dans la perspective interactionniste. Les interactions des uns renforcent les autres dans leur développement professionnel. Comment une telle dynamique est-elle illustrée dans l’enseignement des mathématiques ?
Etude de cas : travail collaboratif et développement professionnel en mathématiques à l’IEPP d’Abengourou Indenié
23Les échanges avec les conseillers pédagogiques des secteurs Dioulakro et Indenié ont permis de décrire leurs activités pédagogiques au cours de l’année scolaire 2019-2020. Des visites de classe suivies d’animations pédagogiques et de classes critiques sont organisées au cours de l’année scolaire pour accompagner les enseignants dans leur développement professionnel.
24D’abord, comment se sont déroulées les visites de classe ?
25Les deux conseillers pédagogiques de secteur de l’IEPP Abengourou Indénié sont chargés d’encadrer 330 enseignants repartis sur trois secteurs pédagogiques. Mais cette étude se concentre sur les travaux réalisés dans deux secteurs pédagogiques.
26Notons qu’à l’issue de chaque visite de classe, le conseiller pédagogique de secteur (CPS) produit un bulletin de visite de classe faisant office de rapport adressé à la Direction de la Pédagogie et de la Formation continue sous le couvert de la voie hiérarchique : IEPP, APFC et DRENA.
27Tableau 1 : Activités pédagogiques effectuées par les CPS en 2019-2020
Conseiller Pédagogique |
Secteurs Pédagogiques |
Enseignants |
Nombre de bulletins |
Nombre d’animations Pédagogiques |
||
Total |
Visités |
Taux (en %) |
||||
CPS 1 |
Dioulakro |
179 |
61 |
34,07 |
61 |
3 |
CPS 2 |
Indénié |
151 |
61 |
40,39 |
61 |
3 |
Notre étude
28Les données du tableau indiquent qu’aucun des conseillers n’a pu visiter la moitié des enseignants de son secteur durant l’année scolaire. L’analyse des bulletins produits montre les disciplines observées ainsi que les difficultés des enseignants dans chaque matière et notamment les mathématiques. Ces difficultés constatées justifient l’organisation de 3 séances d’animations pédagogiques. Mais avant, quelles sont les séances observées par discipline et sous-discipline dans les salles de classe ?
29La répartition des volumes horaires dans l’enseignement primaire se présente comme suit : 50% consacrés au français, 40% aux sciences (mathématique, sciences et technologie) et les 10% pour les autres matières (EPS, EDHC, histoire et géographie, AEC).
30Tableau 2 : Effectifs des séances observées par discipline ou sous-discipline et par conseiller pédagogique (2019-2020)
CPS |
Math |
EPS |
AEM |
EDHC |
AEC |
Français |
|||||
Lecture |
Poésie |
Ecriture |
Exp Ecrite |
Exp Orale |
Expl. Texte |
||||||
CPS 1 |
17 |
04 |
10 |
02 |
02 |
09 |
01 |
03 |
02 |
05 |
06 |
CPS 2 |
15 |
02 |
12 |
02 |
00 |
16 |
00 |
01 |
05 |
05 |
04 |
Notre étude
Exp. : Expression Expl. : Exploitation
31Si l’on se concentre sur les bulletins des séances de mathématiques, il apparait que les difficultés récurrentes des enseignants dans les classes de CP1 et CP2, portent sur trois thèmes qui constituent l’objet des trois animations pédagogiques organisées.
Thème 1 : Tri et rangement selon les propriétés « couleur », « forme » et « taille » en classe de CP1 (activités pré-numériques).
32Les bulletins de visite de certaines séances de mathématiques indiquent les confusions des enseignants sur les couleurs, les formes et les tailles. Des confusions qui ne favorisent pas les apprentissages chez les élèves.
33La séance d’animation pédagogique entre CPS et enseignants consiste donc à identifier les différentes couleurs, formes et tailles afin de les distinguer les unes des autres.
Thème 2 : Codage d’une collection par un produit de deux nombres et décodage d’un produit de deux nombres par une collection.
34Le constat fait par les conseillers est que certains enseignants, tout comme leurs apprenants n’arrivent pas à faire la différence entre 5 x 3 et 3 x 5.
Exemples : 3 x 5 = (*****) + (*****) + (*****)
5 x 3 = (***) + (***) + (***) + (***) + (***)
Au cours de l’animation pédagogique, les enseignants doivent ainsi apprendre que la multiplication implique des opérations d’addition.
Thème 3 : Utilisation des signes : < et > (‘’Plus petit que’’ et ‘’plus grand que’’) Certains enseignants font des confusions entre les deux signes < et >.
Pour lire ‘’2 < 5’’, ils prononcent devant les élèves, ‘’5 est plus grand que 2’’ au lieu de 2 est plus petit que 5. Pour aider ces enseignants, les conseillers leur proposent de se référer à la main gauche. L’angle constitué par l’écart entre le pouce et les autres doigts symbolise le signe ‘’plus petit que: <’’. Avec la main droite cela donne le signe ‘’plus grand que : >’’.
Les séances d’animations pédagogiques sont suivies d’une évaluation pour marquer le niveau de succès des activités organisées.
35Tableau 3 : Résultats de l’appropriation des thèmes de formation
Thème : |
Nombre d’enseignants formés |
Nombre d’enseignants ayant réussi |
Taux de réussite après formation |
1 |
35 |
30 |
85,71% |
2 |
34 |
26 |
76,47% |
3 |
34 |
20 |
58,82% |
Notre étude
36Ce tableau montre que des proportions non négligeables d’enseignants n’ont pas encore réussi à surmonter leurs difficultés. C’est pourquoi, deux à quatre semaines plus tard, chaque CPS réunit tous les enseignants en difficulté dans le cadre d’une classe-critique dans son secteur pédagogique.
En quoi consistent les classes critiques ?
37Celles-ci consistent à suivre la prestation de l’un des enseignants présents. Les autres enseignants prennent ensuite la parole pour faire des critiques et observations sur la prestation. Le CPS intervient de temps en temps pour recadrer les débats sans chercher à s’imposer, de sorte que la solution aux difficultés à surmonter est trouvée de manière consensuelle. A la fin, un rapport d’animation est adressé à l’inspecteur, chef de circonscription.
38Le travail collaboratif exécuté dans ce processus constitue une application du paradigme interactionniste. Au cours des différentes rencontres, les acteurs se forment à travers les interactions, les partages d’expérience et les communications interpersonnels.
Discussion
39Certes, l’étude n’a pas prévu de tester une hypothèse précise mais ‘’l’objectif de déterminer les mécanismes de la collaboration entre conseillers pédagogiques et enseignants du primaire dans l’enseignement des mathématiques’’ est atteint. Les contenus analysés ont permis de déterminer les mécanismes formels de la collaboration entre conseillers pédagogiques et enseignants du cycle primaire. Le travail collaboratif en mathématiques existe dans l’enseignement primaire mais sa mise en œuvre demeure problématique compte tenu des effectifs d’encadrants pédagogiques. Le processus de ce travail collaboratif montre qu’il contribue effectivement au développement professionnel des acteurs concernés. Visiblement, le développement du travail collaboratif dans toutes les structures scolaires constituerait un atout qualitatif aussi bien pour les apprenants que les différents acteurs de l’école. Les interactions autour des échanges entre acteurs favorisent les apprentissages chez les apprenants et le développement professionnel chez les enseignants. Cette idée est également développée chez Jean-Manuel De Queiroz (1995, p.57) qui montre l’importance des interactions communicationnelles dans les apprentissages en classe. « Pour apprendre efficacement, l’élève doit d’abord apprendre les règles de cette communication, acquérir une véritable compétence des interactions dans la classe, savoir parler à bon escient et interpréter correctement les consignes données. Les élèves développent des stratégies propres (…), mais celles-ci peuvent être renforcées en miroir par les attentes du maître ». A la lumière de l’interactionnisme, une part importante des phénomènes scolaires peuvent donc trouver des explications claires.
40Il faut noter que les interactions décrites dans les résultats de cette étude sont très utiles mais elles doivent être renforcées. Le dispositif en place dans le pays met rarement en collaboration des acteurs du sommet de la pyramide éducative tels que des professeurs d’université en mathématiques ou des inspecteurs généraux de mathématiques avec les acteurs de terrains que sont les conseillers pédagogiques et les enseignants du primaire. Les quelques occasions de rencontres entre universitaires et enseignants du premier degré se limitent aux missions d’encadrement pédagogique et de titularisation des stagiaires de l’Ecole Normale Supérieure d’Abidjan. Si elles donnent un avant-goût d’un travail collaboratif, ces missions ne s’inscrivent pas clairement dans le cadre du travail collaboratif autour de disciplines scolaires comme les mathématiques.
41Les pratiques de travail collaboratif et de développement professionnel en cours dans des pays comme le Canada pourraient inspirer les mécanismes d’encadrement pédagogique en Côte d’Ivoire.
Conclusion
42Pour finir, la théorie interactionniste permet de caractériser les actions des acteurs de la scène scolaire. En interagissant avec les enseignants, les conseillers pédagogiques exercent efficacement leur mission d’encadrement et favorisent leur développement professionnel. Mais les données analysées permettent de comprendre la nécessité de renforcer les interactions verticales. Les interactions horizontales sont certes indispensables, mais elles doivent être accompagnées des interactions des acteurs des paliers supérieurs.
43Il apparait alors que le travail collaboratif et le développement professionnel dans des matières comme les mathématiques, demeurent un chantier inachevé dans le système éducatif ivoirien. Si des dispositions administratives existent, leur application concrète sur le terrain se heurte à la faiblesse du dispositif d’encadrement pédagogique. L’insuffisance et parfois même le manque d’encadrant pédagogique expose les enseignants à des aventures plus ou moins solitaires dans les écoles dont certaines sont situées en milieu rural isolé. L’isolement pédagogique qui en découle conduit par ailleurs certains à s’orienter vers des activités secondaires lucratives qui finissent par occuper l’essentiel du temps de travail.
Bibliographie
BEAUMONT Claire, LAVOIE Josée, COUTURE Caroline, Les pratiques collaboratives en milieu scolaire : cadre de référence pour soutenir la formation, 2011. Document produit par Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES) : Canada.
DE QUEIROZ Jean-Manuel, Ziolkovski M., L’interactionnisme symbolique, 1994, Rennes, PUR.
DE QUEIROZ Jean-Manuel, L’école et ses sociologies, 1995, Paris, Nathan.
KOUYATE Idrissa, « Les collèges de proximité en Côte d’Ivoire », in Actes du troisième séminaire international. Se professionnaliser en collaborant, 2021, Agence Universitaire de la Francophonie. Apprendre. Actes tenus en ligne du 23 au 26 février 2021 et préparés par Cyrielle Le Her, Sous la direction de Jean Adote-Bah Adotevi.
LE HER Cyrielle, ADOTEVI Jean Adote-Bah, « Préface », in Actes du troisième séminaire international. Se professionnaliser en collaborant, 2021. Agence Universitaire de la Francophonie. Apprendre. Actes tenus en ligne du 23 au 26 février 2021.
RAYOU Patrick, VAN ZANTEN Agnès, Enquêtes sur les nouveaux enseignants. Changeront-ils l’école ? Paris : Bayard, 2004.
BRUILLARD Éric, BARON Georges-Louis, « Travail et apprentissage collaboratifs dans l’enseignement supérieur : opinions, réalités et perspectives » Quaderni [En ligne], 69 | Printemps 2009, mis en ligne le 05 avril 2012, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/quaderni/327; DOI : 10.4000/quaderni.327.
Notes
Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Krouélé TOURE
Ecole Normale Supérieure d’Abidjan
tk_krouele@yahoo.fr
Quelques mots à propos de : Kouadio Jeannod KOFFI
MENA / Inspecteur de l’enseignement préscolaire et primaire
jeanodkofi@yahoo.fr