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41 ‖ juin 2025

Seyni MOUMOUNI

Aspect du soufisme au Niger : la Tariqa Qadiriyya Boutchichiyya

Article

Résumé

Le soufisme est donc une discipline spirituelle née au sein de l’islam. C’est un cheminement dans le sens de l’approfondissement de l’expérience religieuse permettant à l’adepte de dépasser le « rituel extérieur », celui du cœur et de l’esprit. La confrérie Qadiriyya est aujourd’hui revivifiée par sa branche la Qâdiriyya Bouchichiyya Fondée par Sidi Ali (fin XIX e siècle) à Magah au Maroc. Elle s’est installée un peu partout notamment en Afrique, en Europe et en Asie. Au Niger, elle s’est installée au début des années 2000, à Niamey, Agadez et Konni. La zâwiyya mère se trouve à Niamey et dirigée par le moqadam Sidi Elhadji Moussa Mossi. Cet article propose d’étudier le soufisme au Niger à travers la Qadiriyya Boutchichiyya.

Abstract

Sufism is a spiritual discipline born within Islam. It is a path of deepening religious experience, enabling the follower to go beyond the “external ritual” of the heart and mind. The Qadiriyya brotherhood is today revitalized by its branch, the Qâdiriyya Bouchichiyya, founded by Sidi Ali (late 19th century) in Magah, Morocco. It has spread throughout Africa, Europe and Asia. In Niger, it settled in Niamey, Agadez and Konni in the early 2000s. The parent zâwiyya is based in Niamey and headed by moqadam Sidi Elhadji Moussa Mossi. This article examines Sufism in Niger through the Qadiriyya Boutchichiyya.

Texte intégral

pp. 135-151

01/06/2025

Introduction

1Le soufisme est une discipline spirituelle née au sein de l’islam. Un cheminement dans le sens de l’approfondissement de l’expérience religieuse qui permet à l’adepte de dépasser le « rituel extérieur », à celui du cœur et de l’esprit. Dans le Coran, Dieu Se présente à la fois comme l’Extérieur « al-zâhir » et l’Intérieur « al-bâtin »1 sous des Noms que le soufi devra unifier au cours de son cheminement spirituel. Le soufisme peut ainsi être défini comme un aspect de la sagesse éternelle2. Pour les soufis, l’extérieur procède de l’intérieur, comme l’écorce d’un fruit enveloppe le noyau. En ce sens, le soufisme représente le cœur vivant de l’islam, la dimension intérieure de la Révélation muhammadienne3. Cet approfondissement et cette intériorisation de l’expérience religieuse augmentent le degré de conscience du disciple et amplifient sa force intérieure et son influence extérieure. Si le soufisme se distingue des autres formes de spiritualité par son ancrage à l’islam, le soufi se distingue d’un quelconque musulman par son assiduité au « dikr ». L’islam au Niger est donc celui de l’islam sunnite de rite malékite, accompagné de pratiques soufies ou confrériques : la Qadiriyya, Shadaliyya4, la Khalwatiyya5 la Sanoussiyya6 et la Tijaniyya7. On distingue dans l’histoire du soufisme quatre périodes principales : celle du prophète et ses compagnons, la deuxième est celle des grandes figures du soufisme tel que « Hassan Al-basri », Rabia Al-Adawiyya, Al-Hallaj, Al-Junayd, etc. ; la troisième correspond à l’établissement de la doctrine et de la théorie du soufisme ; la quatrième période enfin, se caractérise par la propagation du soufisme à partir de son centre Bagdad vers l’Iran et l’Inde, le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest. Le paysage islamique « traditionnel » du Niger est constitué par l’encrage social et culturel de ces confréries. En ce qui concerne la Tariqa8 Qadiriyya objet de cette étude, elle est arrivée au Niger surtout avec le mouvement du Cheikh Osman dan Fodio (1754-1817). Elle se pratique individuellement ou collectivement sous la direction d’un cheikh à travers les wird-s et invocations. En ce qui concerne les confréries Khalwatiyya, Sanoussiyya et Shadaliyya, elles se sont implantées au Niger à travers quelques tribus nomades transsahariens et leurs pratiques restent limitées au autour de quelques oasis et campements. La Khalwatiyya encourage la pratique de retraite spirituelle tandis que la Shadiliyya insiste surtout sur la beauté et la richesse intérieures. Enfin la confrérie Tijaniyya est la dernière importante confrérie soufie à s’installer dans l’espace nigérien. On la trouve partout au Niger, parmi ses activités la pratique des invocations collectives, les visites des cheikhs « Ziyâra » et la célébration de l’anniversaire de la naissance du Prophète Muhammad « Mawlid an-nabî». D’une manière générale, il faut relever que dans toutes ces confréries, l’approche dans le travail d’éducation spirituelle est la même : elle se résume à éduquer les adeptes conformément aux préceptes du Coran et à la Sunna du Prophète Muhammad, les amener, dans leur vie quotidienne, à conformer leurs dires et leurs actes à ces préceptes, le tout, dans l’ouverture, la tolérance, le respect et l’amour du prochain.

2La confrérie Qadiriyya est aujourd’hui revivifiée au Niger par la Qâdiriyya Bouchichiyya Fondée par Sidi Ali (fin XIXe siècle) à Magah au Maroc. Elle s’est installée un peu partout notamment en Afrique, en Europe et en Asie. Au Niger, elle s’est installée au début des années 2000, à Niamey, Agadez et Konni. La zâwiyya mère se trouve à Niamey et dirigée par le moqadam Sidi Elhadji Moussa Mossi. Cet article propose d’étudier le soufisme au Niger à travers la Qadiriyya Boutchichiyya.

Aperçu historique de la Tariqa Qadriyya au Niger

3La Qâdiriyya est l’une des grandes voies initiatiques du soufisme fondée à Bagdad en Irak par Abdel-al-Qâdir al-Jilânî (1077-1166). Elle fut introduite en Afrique via le Maghreb au XVe siècle, puis diffusée vers le XVIe siècle en Afrique saharienne (Walatta, Tombouctou, Aïr, Fezzan, Tademakat). Elle est la première à avoir pénétré le Sahara. La Qâdiriyya prône l’obéissance au message prophétique et aux rites malikites. Elle est comme toute confrérie portée à l’engagement et propose la vénération des Cheikhs. La Qadiriyya fut introduite en en Afrique de l’Ouest par les Kunta. Grande famille confrérique, l’ancêtre des Kunta, Sidi Ahmad al-Bakkây quitta le Nord du Sahara pour s’installer à Walatta. Selon les Kunta9, il était le saint protecteur de la ville. L’influence spirituelle des Kunta aux XVIIIe et XIXe siècles s’est étendue ensuite partout en Afrique. Le Cheikh Sidi al-Mukhtâr al-kunta séjourna à Tombouctou où il reçut l’essentiel de sa formation intellectuelle et spirituelle notamment auprès du Cheikh Sidi ‘Ali b. an-Najîb (1757). L’origine de la transmission du wird de la Qâdiriyya, à Sidi al-Mukhtâr al-kunta, fut attribuée à ce dernier qui lui-même, l’avait reçu de Sidî al-Amîn al-Rajjâd, et ainsi de suite, jusqu’à Sidî Umar cheikh, fils de al-Bakkây qui lui avait pris le wird Qâdirî de Abd al-Karîm al-Maghilî. La tradition islamique en Afrique a toujours attribué à Sidi -l- Mukhtâr al-kunta la diffusion de la Qâdiriyya en Afrique. Ce sont des nomades sahariens arabophones qui ont contribué à la diffusion de la Qadiriyya. La tradition soufie saharienne et les écrits ont toujours attribué à Sidi al-Mukhtar al-Kunti dans la branche de la confédération des Kunta (awlad al-Wafi). Les Kunta représentent à l’époque une grande force politique et religieuse avec des références, à la fois tribales et spirituelles. Mais la transmission du wird demeura interne à la tribu des Kunta jusqu’à l’arrière-grand-père d’al-Mukhtar al-Kunti. Le Cheikh Sidi Mukhtar al-Kunti qui, grâce à sa sainteté « walaya », visita toutes les fractions Kunta dispersées dans l’espace au milieu du XVIIIe siècle et les réunifia en diffusant le wird « qadiri » partout en Afrique.

4Au Niger, la Tariqa Qadiriyya fut introduite par le Cheikh Osman dan Fodio. Il a reçu le wird de la Qadiriyya à travers Sidi Al-Mukhtar Al-Kunta. Le Cheikh Osman dan Fodio a ainsi reçu le wird « Mukhtariyya ». Le message spirituel transmis par Sidi -al- Mukhtar al-kunta (1729-1811), au Cheikh Osman dan Fodio (1754-1817) lui permettait l’emploi des wird prestigieux et de méditer son exemple pour approfondir sa connaissance de la vie du Prophète. Il souligne dans le manuscrit « salâsil al-qâdiriyya » que :

5« Le wird de la Qâdiriyya nous a été transmis par le Cheikh al-Muhtâr al-kunta. C’est la chaudière des wird « marâghil al-awrâd », car il fait bourdonner tous les wird et nul wird n’en ferait autant ». Le Cheikh, en affirmant son appartenance à la Qâdiriyya évoque l’importance des wird reçus du Cheikh al-kunta.

6Le Cheikh Osman dan Fodio, en affirmant son appartenance à la Qâdiriyya évoque l’importance des wird reçus du Cheikh al-kunta. L’avantage d’invoquer ces wirds est selon le Cheikh Dan Fodio de permettre de mourir dans un état de pureté « Hasan al-hâl ». Mais, ceux qui cherchent à avoir une telle situation doivent suivre scrupuleusement les enseignements du grand maître ‘Abdel Qâdir al-Jilânî.

7Les Cheikhs Qâdirî comme le Cheikh Osman dan Fodio, à l’image de Sidi al-Mukhtâr al-Kunta, ont été généralement des personnalités marquantes ; il est compréhensible qu’ils manifestent par ailleurs un grand esprit de corps, aient tenu à vivifier leur mémoire. Au Niger, la Qadiriyya a encore des adeptes dans le milieu rural et saharien notamment dans les régions : Agadez, Niamey, Tahoua, Tillabéri, Zinder.

8En effet, les traditions Qadiri-es ont marqué les spiritualités africaines depuis l’arrivée de l’Islam Soufi sur le continent. En Afrique de l’Ouest, comme en Mauritanie, au Mali et au Niger les premiers soufis étaient des Ulèmas (savants) versés dans les sciences religieuses. La connaissance et le savoir ont servi de vecteur à l’expansion de ces ordres soufis en Afrique et au Niger. En ce qui concerne la Qadiriyya a donné naissance à de nombreuses branches comme, par exemple, la Khalwatiyya, la Shadaliyya, la Sanussiyya, la Boutchichiyya et la Mouridiyya.

9Si le soufisme a pénétré rapidement dans le territoire nord-africain, son expansion vers l’Afrique subsaharienne a pris plus de temps. Au début, le soufisme était une affaire d’individus et de groupes très restreints, et non une affaire institutionnelle. C’était un soufisme des individus et de petites communautés sans étiquettes confrériques. Car, la Qadiriyya se pratique individuellement ou collectivement. Il existe un soufisme dispersé et individualisé dans beaucoup de régions africaines depuis le XVe siècle. Puis, celui-ci s’est organisé dans des confréries soufies. Toutefois, sa structuration et son rayonnement ne se manifestent explicitement qu’à partir du XIXe siècle.

10Dans ce contexte, il se trouve que le caractère de mobilité de la majorité des habitants de ces zones a joué un rôle décisif dans la construction des réseaux confrériques.
L’arrivée de la Qadiriyya Boutchichiyya au Niger est certainement très tardive, mais elle a bénéficié de l’héritage de la Qadiriyya pour s’implanter avec aisance.

La Qadiriyya Boutchichiyya

11Quant à la Qadiriya-Boutchichiya a été fondée vers 1750 au nord d’Oujda à Berkane au Maroc entre la fin du XIXe et XXe siècle par Sidi Ali. Elle revendique une double légitimation spirituelle : algérienne et marocaine d’une part et irakienne d’autre part. Sidi Abu Madyan (Sidi Boumedienne) constitue la figure mystique en quête de connaissance spirituelle de la région. Né en 1873, il est le cousin de Sidi al-Hadj al-Mokhtar. Alors que ce dernier combattait contre les Français, il prit de chez lui l’enseignement Qadiri. Sidi Abbas le père de Sidi Hamza, explique dans une lettre comment s’est produit l’adhésion de ses illustres prédécesseurs :

12« Jadis mon bisaïeul, engagé dans cette voie, constituait pour moi un modèle et un excellent exemple. Dieu l’a assisté lorsqu’il a pris un éducateur spirituel reconnu pour ses stations spirituelles élevées (…). L’éducation s’est renouvelée entre ses mains et il devint ainsi un éducateur. Toutefois avant sa mort, il a conseillé à son fils de renoncer au Nom suprême et à l’éducation pour revenir au Tabarruq. Car son fils n’avait pas atteint la station de l’éducation. De là, apparaît la caractéristique de l’Éducateur « al-murabbi » qui s’affranchit « yastaqalla » des méthodes antérieures par la maîtrise « Tassaruf » des moyens de l’éducation spirituelle et par l’obtention de la station de l’autorisation « maqâm al-idhn » pour l’invocation sans limites du Nom suprême. Depuis longtemps, les éducateurs conseillaient à leurs compagnons non accomplis d’aller à la recherche de cette essence après la mort, afin de poursuivre leur cheminement, leur progression « suluk » et leur ascension « Tadarudj »10. Le sirr (secret) est nécessaire pour qu’un enseignement spirituel puisse prétendre mener à la connaissance divine. Le sirr permet d’accéder à la réalisation spirituelle. Un Cheikh ne peut prétendre détenir un enseignement spirituel que s’il détient le secret (sirr) par le bias d’une autorisation divine « ’idhin ». L’invocation « dikr » lui servait de moyen de progression initiatique pour attirer les bonnes grâces de la baraka. Le sirr (secret) est également considéré comme une voie vivante « hayya », faisant référence à la présence physique du Maître spirituel qui l’a fondée. Sidi Boumedienne a pris l’enseignement Qadiri de Sidi al-hadj al-Mokhtar. Selon Sidi Hamza, sa quête à la recherche d’un maître vivant doté du secret « sirr » de l’initiation débuta après une prise de conscience en ces termes : Sidi Boumedienne s’était contenté, pendant de nombreuses années, d’une pratique de culte, certes fort intense, mais qui restait sur le plan extérieur. Il appartenait à une ligne prestigieuse de Saints et de fondateurs de zawiyya. Il était de plus sharif, descendant du Prophète. Il pensait donc qu’il n’avait qu’à s’en tenir à cette voie des anciens, il n’avait pas cherché ailleurs. Il avait pris l’habitude de rendre visite assez périodiquement à des Fuqara’ de la région de la zawiyya de Sidi al-Harbri… »11. La quête spirituelle de sidi Boumedienne dura plusieurs années. Sa persévérance fut récompensée par la rencontre de plusieurs maîtres dont deux le marquetèrent il s’agit de : Sidi al-Mahdi Bel Ariane et Sisi Ahmed Lahlou. Sidi Abu Madyan (Sidi Boumedienne) poursuivit sa quête spirituelle jusqu’à son aboutissement qui consiste à comprendre que l’état spirituel « hâl » a pour origine l’Amour divin. La synthèse des enseignements qu’il reçut lui permit de sortir de la voie Qadiriyya du Tabarruq pour en faire une voie vivante, activée par le secret « sirr ». Sidi Boumedienne mourut en 1955 après avoir transmis son enseignement à Sidi al-Hadj al-Abbas et à Sidi Hamza.

13Sidi al-Hadj al-Abbas est né en 1890 au village de Buyahya, au sud de Ahfir. Il reçut son éducation religieuse à la zawiyya de Madagh. Après la mort de son père, Sidi al-Hadj al-Mokhtar, il aida son grand frère, Sidi al-Makki (m. en 1936), à la bonne marche de la zawiyya et s’occupa des activités agricoles. Sidi Abbas prit l’enseignement spirituel auprès de Sidi Boumedienne et le transmit à son tour avant son décès en 1972 à son fils Sidi Hamza. Ces trois soufis et éducateurs spirituels constituent les maillons de la chaîne initiatique « silsila », qui remonte jusqu’au Prophète comme suit :

14Muhammad, Sayyidina Ali b. Abi Talib, Sayyidina al-Hasan, Sayyidina al-Husayn, Sayyidina Ali Zin al-Abidin, Sayyidina Muhammad al- Bakir, Sayyidina Ja’far al- Sadiq, Sayyidina Musa al-Kadhim, Sayyidina Ali al-Ridah, Ma’ruf al-Karkhi, Abu-l-Hasan Siri Saqti, Abu-l-Qasim Junayd, Abu Bakr Abd Allah Shibli, Raziuddin Abu-l-Fazl Abd al-Wahid Abd al-Aziz, Abu Farah Muhammad Yusuf Tartusi, Abu-l-Hasan Ali Ahmad Qarshi al-Hankari, Qadi Abi Sa’id Ali Mubarak al-Mukhrami, Shaykh Muhyi al-Din Abd al-Qadir al-Jilani, Shaykh Abd al-Razzaq le premier, Sidi Isma’il, Sidi Abd al-Razzaq le second, Sidi Muhammad, Sidi Muhammad, Sidi Abd al-Qadir, Sidi Ali Sidi Chu’ayb, Sidi al-Hasan Shaykh Abu Dakhil, Sidi Muhammad, Sidi Muhammad, Sidi Muhammad, Sidi Ali (vers 1750, fondateur de la Qadiriya Boutchichiya), Sidi Muhammad Shaykh al-Mukhtar le premier, Sidi al-Mukhtar le Grand (vers 1790-1852), Haj Muhyi al-Din, Sidi al-Mukhtar (1853-1914, grand-père de Sidi Hamza), Sidi Abu Madyan b. al-Munawwar al-Qadiri al-Boutchichi (1873-1955), Shaykh Sidi Haj Abbas (1890-1972), Saykh Sidi Hamza al-Qadiri al-Butchichi (1922-2017), Shaykh Sidi Jamal al-Qadiri al-Butchichi, né en 1942.

15La Tariqa Boutchichiyya bien qu’apolitique a subi tout au long des années 60, 70, 80 une pression constante de la part des services du Ministère de l’intérieur marocain. Cette pression, comprenait la surveillance des activités de la Tariqa, la limitation et les déplacements du Maître et de ses disciples, l’intimidation et les menaces de licenciement des cadres administratifs membres de la Tariqa. Face à cette répression, les membres de la Tariqa ont adopté une attitude caractérisée par la patience, l’endurance et la fidélité à la baya (le pacte d’allégeance au roi et au patriotisme. Cette double appartenance donne à la confrérie la possibilité d’envisager, après l’Europe, une extension vers l’Afrique subsaharienne. Cependant, la création récente de la Boutchichiyya fait face à la concurrence des autres groupes Qadiri-s, déjà présents en Afrique. Toutefois, dans les milieux attirés par le soufisme, les résistances les plus fortes viendront de la Tidjaniyya. Cette dernière est fortement présente sur place dans plusieurs pays africains, comme au Sénégal, au Niger, au Mali, en Mauritanie, au Nigéria. Par ailleurs, la tentative de pénétration de la Qadiriya Butchichiya au Mali est jugée par des membres influents de la Tidjaniya comme une concurrence. Elle serait en effet assimilée à l’apparition d’une « boutique » concurrente. La zawiyya soufie Boutchichiya se situe dans le village de Madagh, qui dépend de la ville de Berkane, au nord-est du Maroc. De plus, différentes annexes de cette confrérie se trouvent dans plusieurs villes et villages du Maroc ainsi que dans d’autres pays. La Boutchichiya est actuellement l’une des confréries soufies les plus actives du Maroc. Elle mène une grande opération d’extension pour élargir sa présence et son implantation dans le monde. Dans ce cadre, plusieurs mécanismes de propagation de ses enseignements sont utilisés. Avant d’aborder plus en détail ces questions, il convient de faire un détour par un bref rappel de l’histoire de cette confrérie, telle qu’elle se présente elle-même. Tout d’abord, Karim Ben Driss, sociologue et disciple de la Boutchichiya, affirme : « La Tariqa al-Boutchichiya est originaire de l’Irak. Les ancêtres du maître actuel Sidi Hamza Boutchich s’établirent dans la partie orientale du Maroc vers le milieu du XVIe -XVIIe siècle. Sidi Ali al-Qadiri construisit un lieu de recueillement soufi, une zawiya ». Aussi, l’histoire de la Voie est ainsi présentée : « cette Voie se nomme la Voie Qadiriyya-Boutchichiyya. Une chaîne initiatique (arbre généalogique) ininterrompue relie nécessairement tout Guide soufi authentique au Prophète de l’islam ».

16Le cheikh de la Boutchichiyya est à la fois un descendant en ligne directe du Prophète ainsi qu’un héritier spirituel de Moulay Abd al-Qadir al-Jilani. En effet, une pratique répétitive qui consiste à mettre en scène différentes formes et versions de l’arbre généalogique de la famille Boutchich montre à quel point la mise en place d’une identité spirituelle de la Boutchichiyya est en cours de construction permanente. D’une part, les disciples et les fidèles désignent le cheikh Sidi Hamza et après lui son fils Sidi Jamal par le terme de chérif et appuient l’appartenance de la famille Boutchich aux chorfa-s. D’autres part, les représentations réitèrent cette descendance au Prophète. De grandes affiches de la famille Boutchich sont donc accrochées et exposées aux murs dans les locaux de la confrérie, où figurent des extraits de livres, des photos, des organigrammes… De même, les liens de l’arbre généalogique de la Boutchichiyya sont affichés sur plusieurs sites internet de la confrérie. La répétition d’invocations est la pratique la plus courante du mourride (le disciple). En tête des invocations musulmanes on rencontre tout d’abord la formule de l’unicité : « Lâ-’ilâha ’illa – allah ». Ce dikr a une telle présence dans cette discipline qu’on peut définir le soufisme par l’engagement complet de l’adepte vis-à-vis de la formule de l’unicité. L’expérience soufie commence avec la formule « Lâ-’ilâha ’illa – allah », se poursuit avec « Lâ-’ilâha ’illa – allah » et se termine avec « Lâ-’ilâha ’illa – allah ». Le disciple commence par s’adresser à un maître spirituel, lequel lui inculque la formule de l’unicité. Il s’engage à la répéter sans arrêt et durant toute sa vie, la finalité est de mourir en répétant « Lâ-’ilâha ’illa – allah ». Cette technique simple et redondant s’est construite au fil des siècles autour d’une science dont les ramifications sont innombrables. Comme le disent les soufis : notre science ne peut être comprise par le lecteur des livres ou des écrits. Car le soufisme est comparable à un grand Océan, inaccessible à l’esprit descriptif et analytique.

17La Tariqa organise chaque année en marge de la célébration de la naissance du prophète, un colloque international à la zawiyya de madagh. L’idée des rencontres mondiales du soufisme consiste selon les organisateurs à promouvoir la dimension scientifique de la Tariqa Boutchichiyya et créer un cadre d’échanges académiques entre les membres de la Tariqa qui viennent de partout. Le soufisme est marginalisé dans les rencontres scientifiques internationales. Les savants ont privilégié les sciences religieuses dans leurs études et leurs recherches, mais ils ont délaissé et oublié que le soufisme est une partie intégrante des sciences islamiques, il s’agit même de l’essentiel. Ils ont donné plus d’importance aux sciences de la langue et ils ont marginalisé les sciences du cœur qui éduquent les hommes d’où la nécessité d’organiser des rencontres et des colloques pour permettre aux chercheurs de rattraper ce retard et de rendre au soufisme sa vraie valeur en tant qu’objet d’étude et de recherche. Les thématiques abordées au cours des rencontres scientifiques sont diverses et variées. Elles tournent au tour du soufisme en tant qu’objet d’étude et de recherche capable d’analyser les défis auxquels le monde est confronté. La première édition a été organisée du 30 mars au 01 avril 2007 sur le thème : le rayonnement du soufisme marocaine d’hier à aujourd’hui et la dix-neuvième édition, tenue du 11 au 16 septembre 2024 était sur le thème : Soufisme et le devenir des valeurs à l’ère de l’intelligence artificielle12.

Implantation de la Tariqa qadiriyya Boutchichiya au Niger

18La Tariqa Boutchichia est implantée au Niger par le banquier marocain M. Abdourahamane Zinedine, Directeur Général de la Banque Islamique du Niger de 1998 à 2008. Membre actif de la Tariqa Boutchichiyya M. Zinedine a réuni autour de lui les premiers fidèles de la Tariqa au Niger. Il s’agit de M. Abdou dan Gallo, Alassane Chékaraou, Moussa Mossi ingénieur des travaux publics à la retraite, Pr Boureima Ousman. Le premier cercle de la Tariqa étaient séduit par l’aspect renouveau, la puissance de l’égo et la transformation de l’âme à travers les actes de la générosité, l’amour et la sincérité. Après le départ du Niger de Sidi Abdourahamane Zinedine en 2008, Sidi Moussa Mossi a été choisi pour le remplacer. Il a fait le voyage à Madagh où il a été présenté au grand cheikh Sidi Hamza et prend le titre de moqaddam de la zawiyya Boutchichiyya du Niger. Moqadam Sidi Moussa Mossi nous a expliqué la relation entre la Qadiriya et la Butchichiya en ces termes : « La Boutchichiyya est affiliée à la Qadiriyya par la silsila (chaîne de transmission) qui remonte au saint Moulay Abd al-Qadir al-Jilani de Bagdad, les gens adhèrent facilement à la Boutchichiyya ». La transmission efficiente de cette assistance dépend de l’état spirituel de chaque anneau de la chaîne. De même, sa réception par le fuqara (disciple), dernier anneau de la chaîne, est fonction de la propre préparation de ce dernier en vue de la recevoir. Celle-ci demande un effort spirituel destiné à réaliser l’état d’être. Ces interventions divines agissent en permanence sur l’état d’être. Mais l’homme, par ses efforts propres, doit être prêt à recevoir ce don de transformation qui ne vient que de Dieu. Les soufis conçoivent leur travail comme un chemin ou une voie « tariqa » divisée en étapes, chacune d’entre elles étant conforme à un « état d’être » « hâl ». Sous la direction d’un parfait maître « ŠayÌ kâmil » ; les disciples progressent dans cette voie par la prière et les autres exercices spirituels. Mais ils doivent également se concentrer sur leurs propres conditions et leurs propres actions dans chaque état ou hâl.

19La zawiyya de Niamey se distingue des autres zawiyyas par son ouverture aux autres confréries en particulier la Tariqa Qadiriyya du Niger et de la sous-région avec lesquelles il a organisé plusieurs rencontres nationales et régionales. Les membres de la zawiyya se retrouvent tous les samedis après-midi chez un des membres actifs Sidi Issa Bako. Quand on interroge les soufis sur ce qui les distingue de ceux qui ne le sont pas, ils répondent que c’est leur amour pour le cheikh « mahabba li-l-shaykh ». La zawiyya a est un espace de convivialité spirituelle où se côtoyaient quelques dizaines de personnes de toute les couches de la société nigérienne. Elles partagent et accomplissent les mêmes activités spirituelles : prières, dikr, méditations, enseignements, invocations, etc. La Boutchichiyya pour mener à bien ses activités religieuses et culturelles au Niger a créé l’association dénommée « Al-Muhlisîn »13. Elle a comme président d’honneur, l’ancien premier ministre Hamid Algabid, président moqadam Elhadji Moussa Mossi, vice-président M. Mohamed Ibrahim. L’association organise des rencontres d’échanges spirituels et plusieurs conférences sur l’islam, le soufisme, la paix et la tolérance14.

Conclusion

20La Qadiriyya, est la plus ancienne Tariqa du monde musulman. Elle est présente au Maghreb, au Machreq (Orient), en Asie et en Afrique et dispose d’un grand et solide réseau à travers le monde. Elle est présente qui lui permet d’être présente au Maroc et en Afrique de l’Ouest, région qui nous intéresse particulièrement pour comprendre le lien entre sa diffusion au Maghreb, notamment au Maroc et sa puissance en Afrique subsaharienne, particulièrement au Niger. Le fondateur de la confrérie Qadiriyya, Abd Al-Qadir al-Jilani a vécu à Bagdad. La confrérie Qadiriyya, fondée à Bagdad au XIIe siècle par Abdelkader al-Jilani, sera l’une des premières confréries implantées au Maghreb à partir du XVe siècle et en Afrique subsaharienne à la fin XVIe siècle. La Qadiriya, avec ses ramifications (Tariqa Boutchichiyya), joue un rôle primordial dans l’histoire du paysage religieux nigérien mais aussi dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest.

Bibliographie

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Ben Rochd Er Rachid, Cheikh al-Akbar al-Kibrit al-Ahmar, éditions Dechra, Casablanca, 2004, 233 pages

Karim Ben Driss, Sidi Hamza, Al-Qadiri Boudchich, éditions Inspira, Canada, 2017, p104.

Moussa Mossi, quelques repères utiles pour comprendre le soufisme, document, Niamey, 2008, 51 pages

Osman dan Fodio : Kitâb Al-tafriqa bayna ‘ilm al-tasawwuf alladhî lil-tahalluq wa bayna ‘ilm al-tasawwuf alladhî lil-tahaqquq wa madâhil ‘iblîs : disponible à Ibadan (C.A.D), 434 ; Kaduna (N.A), A/AR 22/34 ; Kano (B.U), UF,5/21 ;Sokoto (C.I.S), 1/4/58 ; Sokoto (S.H.B), 1/1/5 ; Sokoto (W.J.C), 12/35.

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Seyni Moumouni, Vie et œuvre du cheikh Uthman dan Fodio, de l’islam au soufisme, éd. L’harmattan, Paris, 2008.

Seyni Moumouni & Alassane S. ; Inspiration spirituelle et élaboration des sciences ésotériques et exotériques, édition ENS- Éditions, Lyon, février 2012.

Seyni Moumouni : Kitâb Al-tafriqa bayna ‘ilm al-tasawwuf alladhî lil-tahalluq wa bayna ‘ilm al-tasawwuf «Discours religieux et savoirs mystiques chez Cheikh Uthmân Dan Fodio (1754 – 1817)», Présentation, Traduction, et Annotation, actes colloque : la traduction du langage religieux, dans la revue atelier de Traduction n°9, Centre de Recherches Inter Litteras Suceava Roumanie, 2008, pp 63-72.

Triaud, Jean-Louis, La légende noire de la Sanusiyya. Une confrérie musulmane sous le regard français (1840-1930), (Paris, MSH et Aix-en Provence, IREMAM, 1995, vol1 et 2. 1151 pages

Notes

1 Cor.57 ; 3.

2 Éric Geoffroy, Initiation au soufisme, éd. Fayard, Paris, 2003, p10.

3 Éric Geoffroy, op. ct. P11.

4 La Shadaliyya est une confrérie maghrébine fondée par Imâm Chadili (1196 – 1258), né en Tunisie, disciple d’un grand soufi de Tlemcen (Algérie) et ayant vécu au Maroc et en Égypte. La Chadiliyya est surtout pratiquée dans les villages et campements sahariens proche de la frontière algérienne. On attribue à l’Imâm Chadili la découverte du café.

5 La Khalwâtiyya est née dans le Caucase au XIVe siècle. C’est une confrérie islamique très répandue. Khalwa, terme technique (Turc : Halvetiyye) de la mystique signifiant « retraite, réclusion », et, plus spécifiquement, « isolement en un lieu solitaire ou cellule ». elle fut diffusée en Turquie, en Egypte puis en Aïr au XVIe siècle.

6 La Sanoussiyya a été fondé en 1843, en Cyrénaïque (Libye) par Mohammed al Sanusi (1792-1859), un Algérien de la région de Mostaganem, et a pris d’emblée une orientation plus nationaliste et anti-colonialiste. Elle est rentrée dans l’espace nigérien à partir du Fezzan. On trouve aujourd’hui quelques adeptes Sanussi-s au Niger principalement dans les régions d’Agadez, de Diffa et de Zinder. Voir, Triaud, Jean-Louis, La légende noire de la Sanusiyya. Une confrérie musulmane sous le regard français (1840-1930), (Paris, MSH et Aix-en Provence, IREMAM, 1995, vol1 et 2. 1151 p.

7 Confrérie fondée à Fès par Sidi Ahmed Atijânî (1737 – 1815), la Tijaniyya est aujourd’hui la confrérie la plus répandu et qui rassemble de plus d’adepte en Afrique de l’Ouest et au Niger en particulier. Les principaux centres de la Tijaniyya au Niger se trouve à Kiota dans la région de Dosso, Koussa dans la région de Zinder et à Niamey quartier deuxième arrondissement.

8 Tariqa : mot arabe qui signifie voie, il correspond par extension au terme confrérie (on parle de voie soufie et confrérie soufie)

9 Parmi les érudits de la famille Kunta, Sidi al-Mukhtâr al-kabîr b. Ahmad b. Abî Bakr (1729-1811) : il était à la fois un saint, un habile politicien et un commerçant aisé. Il fixa son camp à al-Hilla dans l’Azawâd, qui devient rapidement son centre d’étude et de propagande de la confrérie des Qadiriyya, et c’est sur cette branche qu’il fonda, la Mukhtariyya. Lire, Hamet Ismael : « Tarîkh al-kunta : notice sur les kunta », Revue du monde musulman, XV, Paris, 1911, pp302-18 ; encyclopédie de l’islam volume 5, p.393.

10 Karim Ben Driss, Sidi Hamza, Al-Qadiri Boudchich, éditions Inspira, Canada, 2017, pp102 -103.

11 Karim Ben Driss, Sidi Hamza, Al-Qadiri Boudchich, éditions Inspira, Canada, 2017, p104.

12 https://rencontremondialedusoufisme.com

13 Arrêté n°2348 du 23 mai 2014/MISPD/ACR/DGAPJ/DLP.

14 Entretien avec Moqadam Sidi Al-hadj Moussa Mossi, réalisé le 28 juin 2025.

Pour citer ce document

Seyni MOUMOUNI, «Aspect du soufisme au Niger : la Tariqa Qadiriyya Boutchichiyya», Mu Kara Sani [En ligne], Dossier, 41 ‖ juin 2025, mis � jour le : 24/07/2025, URL : https://revue-irsh.org:443/mukarasani/index.php?id=644.

Quelques mots à propos de :  Seyni MOUMOUNI

Directeur de Recherches en Histoire

Institut de Recherches en Sciences Humaines

Université Abdou Moumouni de Niamey