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39 ‖ JUIN 2024
Les conseils régionaux : des nouveaux acteurs de l’action publique au Niger
Résumé
Le Niger a mis en place en juin 2011 les premiers conseils régionaux de son histoire. La mise en place de ces structures permet à l’État d’étendre ses capacités en matière d’intervention de proximité. L’installation de ces nouvelles structures rapproche les politiques de développement aux acteurs locaux. Depuis le 26 janvier 2016 quatre domaines de compétences sont transférés aux régions collectivités territoriales au Niger. Le transfert de compétences sur les quatre domaines affirme la région, dans les faits, comme un niveau administratif de coordination et d'action.
L’objectif de cet article est d’examiner le cadre mis en place par l’État et ses partenaires pour renforcer les capacités institutionnelles des collectivités territoriales. C’est la méthode qualitative, combinant à la fois les entretiens et les observations qui a été utilisée pour la collecte des données. Les principaux résultats issus de cette recherche sont :
La mise en place des conseils régionaux démultiplie les points d’ancrage de l’État au niveau local ;
Malgré le transfert non effectif des compétences et des ressources, les conseils régionaux mobilisent toutes les parties prenantes autour du développement régional pour pouvoir exister, se créer et se forger une légitimité locale ;
Les conseils régionaux ont impulsé le développement local par la création de pôles de compétences dans les villages.
Abstract
In June 2011, Niger set up the first regional councils in its history. The establishment of these structures will enable the State to extend its capacity for local intervention. The establishment of these new structures brings development policies closer to local players. Since 26 January 2016, four areas of responsibility have been transferred to Niger's regional and local authorities. The transfer of powers in these four areas establishes the region as a de facto administrative level for coordination and action.
The aim of this article is to examine the framework put in place by the State and its partners to strengthen the institutional capacities of local authorities. The qualitative method, combining both interviews and observations, was used to collect the data. The main findings of this research are as follows.
The establishment of regional councils has increased the number of points at which the state is anchored at local level;
Despite the fact that powers and resources have not yet been effectively transferred, the regional councils are mobilizing all stakeholders around local development in order to be able to exist, create themselves and forge local legitimacy;
The regional councils have encouraged local development by creating center of expertise in the villages.
Table des matières
Texte intégral
171-191
Introduction
1Les élections locales du 11 janvier 2011 ont permis, au Niger, de mettre en place le dernier pallié des collectivités territoriales, c’est-à-dire, la région. La mise en place des conseils régionaux permet de renforcer les compétences et les capacités de l’État au niveau local en matière d’action publique. Elle permet de rapprocher le cadre de coordination et des actions de développement au niveau local.
2La réforme sur la régionalisation et le transfert des compétences est venue avec le code général de collectivités territoriales (CGCT) donner plus de poids à la région collectivité territoriale. En effet, la régionalisation permet de renforcer le quadrillage politico-administratif du milieu rural G. Blundo (1998, p. 78). Elle rend possible l’exercice d’une tutelle administrative rapprochée. Aussi, la région est, avec le concours de l’État, le cadre d’organisation et de coordination du développement régional. La région collectivité territoriale traduit la volonté d’augmenter l’efficacité des politiques de développement en les rapprochant au plus près des acteurs concernés X. Greffe (2002, p. 97).
3La présente étude s’appuie sur des travaux de recherche menés dans le cadre des recherches doctorales dans les régions de Dosso et Maradi. Elle aborde la problématique du développement régional dans un contexte de désengagement de l’État au Niger.
Méthodologie
4La collecte des données de terrain a été effectuée suivant la méthode qualitative de la socio-anthropologie, combinant à la fois les entretiens et les observations. Les données utilisées pour ce travail sont celles collectées dans les chefs-lieux de régions de Dosso et de Maradi. Les entretiens ont été focalisés sur les groupes stratégiques. Selon T. Bierchenk et J-P. Olivier de Sardan (1998, p. 14), « les groupes stratégiques apparaissent comme un ensemble d’individus qui, face à des enjeux précis défendent des intérêts communs en particulier par le biais de l’action sociale et politique []Parfois, ils renverront à des caractéristiques statutaires ou socioprofessionnelles (sexe, caste, métier) parfois à des affiliations lignagères ou à des réseaux de solidarité ou de clientèle, parfois à des parcours biographiques et des stratégies individuelles ».
5Les investigations ont été conduites, dans l’ensemble, avec les acteurs institutionnels (autorités coutumières et administratives, société civile, partenaires techniques et financiers) et non institutionnels (populations locales, anciens cadres de projets, etc.). Au total cent cinquante (150) hommes et femmes ont été interviewés pour l’ensemble de la recherche dans les deux régions. Les participants sont choisis pour leur capacité à enrichir la construction théorique plutôt que pour leur représentativité statistique (S. Paugam, 2010, p.117). Ainsi, les personnes physiques ou morales interrogées sont déterminées à l'intérieur des groupes stratégiques autour desquels s'articule notre travail.
6Compte tenu de la méthode utilisée pour la collecte (qualitative), le traitement des données a été fait de façon manuelle. Ainsi, en fonction des thématiques abordées dans le guide d’entretien, les données sont regroupées par thèmes. Ce travail s’inspire de la démarche de J-P Olivier de Sardan (2008). Chaque thème clé « est une sorte de module, ayant vocation à devenir partie de tel ou tel chapitre » (Olivier de Sardan, J-P 2003, p15). Ainsi, une fois toutes les données (entretiens, sources documentaires, observation, études de cas) saisies, classées par thématiques et sous thèmes, une triangulation des sources est faite pour renforcer la validité des résultats.
7A l’issue de la saturation lors de la collecte des données avec les groupes stratégiques, les effectifs des enquêtés sont capitalisés dans le tableau ci-dessous.
Tableau N° 1 : Récapitulatif des entretiens
Groupes stratégiques |
Nombre de personnes interrogées |
Acteurs de la société civile |
45 |
Agents SORAZ |
12 |
Anciens premiers ministres/ministres |
4 |
Cadres projets |
15 |
Cadres aux ministères |
13 |
Chefs coutumiers/religieux |
9 |
Élus locaux |
20 |
Institutions de microfinance |
4 |
ONG/associations internationales |
12 |
Services techniques |
21 |
Total |
155 |
enquêtes de terrain
Résultats
8Il sera traité dans ce point du fonctionnement au quotidien des conseils régionaux. Dans un contexte de désengagement progressif de l’État, les régions collectivités territoriales essaient de se forger une légitimité à l’épreuve des faits.
Le fonctionnement au quotidien des conseils régionaux en attendant le transfert effectif des compétences et des ressources
9En prévision du transfert effectif des compétences et des ressources vers les collectivités territoriales régionales, les exécutifs des conseils régionaux au Niger mobilisent toutes les parties prenantes dans le développement local afin d'exister, de se constituer et de se doter d'une légitimité locale.
10Pour servir d’appoint aux budgets des collectivités territoriales en vue de veiller à leur développement harmonieux sur la base de la solidarité nationale, l’Etat a créé un fonds de péréquation (article 226, CGCT). De même, pour leur fonctionnement, les collectivités territoriales bénéficient de dotations de l'État. Il y a deux sortes de fonds : le Fonds d'Appui à la Décentralisation (FAD) et le Fonds de Péréquation (FP).
Les dotations annuelles de l’État, une nécessité malgré leur irrégularité et leur insuffisance
11En dehors des ressources rétrocédées, l’État ainsi que les partenaires techniques et financiers participent au financement des collectivités territoriales à travers des appuis directs sous forme de crédits délégués. Des fonds de la coopération décentralisée sont également destinés à la mise en œuvre des différents programmes de développement de niveau régional et communal. Chaque année l’État programme dans le budget national des fonds à repartir entre les différentes collectivités territoriales du Niger. Deux types de fonds sont répartis :
Le fonds de péréquation utilisés pour assurer le fonctionnement des services et à l’investissement ;
Le fonds d’appui à la décentralisation utilisés par les conseils régionaux pour payer les indemnités du président et de ses adjoints, le salaire du personnel (ainsi que toutes les charges contractuelles liées à ce personnel) permanent, l’entretien du parc automobile et motocycliste, l’organisation des sessions des conseils, etc. (entretien avec un SG de CR, janvier 2020)
Le code général des collectivités territoriales en ses articles 225 et 226 a prévu la création d’un fonds d’appui à la décentralisation et d’un fonds de péréquation au niveau national pour servir d’appoint aux budgets des collectivités territoriales en vue de veiller à leur développement harmonieux sur la base de la solidarité nationale. C’est le décret 2014-136/PRN/MISP/D/ACR/MF du 7 mars 2014 qui a fixé les modalités d’alimentation, de fonctionnement et de gestion du fonds d’appui à la décentralisation et du fonds de péréquation.
« La dotation annuelle vient du niveau central. Chaque année l’État fait une programmation. Il peut dire par exemple que les collectivités territoriales doivent bénéficier de 100 millions. Il y a ce qu’on appelle le fonds de péréquation, ça on ne peut pas l’utiliser pour le fonctionnement, c’est un fonds destiné aux investissements. Cette année, celle qui vient de s’écouler, en 2019, on nous a envoyé 4 millions pour les fonds de péréquation. Il y a les fonds FAD, ça, ce sont des fonds que les conseils régionaux utilisent pour la prise en charge du personnel, pour l’entretien du parc auto, moto, ça peut être aussi utilisé pour l’organisation des sessions du conseil. Et avec les FAD on peut appuyer les scolaires. En mars par exemple les scolaires iront à Zinder pour leur championnat scolaire, la direction a fait une requête d’à peu près trois millions pour demander des moyens pour cette mission, pour leur prise en charge » (entretien avec un vice-président du de Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
12Cependant, force est de constater que ces fonds ne sont pas versés régulièrement aux structures bénéficiaires. En plus d’être irréguliers, la totalité de la prévision n’est toujours pas versée en même temps.
« Les fonds que l’État verse, je ne dirai pas que c’est insignifiant mais quand même largement en deçà de nos besoins. Et c’est très irrégulier. Ça fait partie des réalités que nous vivons. Nous avons des arriérés. Par exemple, c’est en début 2020 que nous avons eu les fonds de 2018. Pour 2019, on attend. Il y a des critères pour l’allocation de ces fonds-là. Par exemple, il y a la population et la taille de la région et l’effort de la région en matière de gouvernance. Ce qu’on gagne varie, on vient d’avoir environ 43 millions. Il y a les fonds destinés à l’investissement et les fonds destinés au fonctionnement. Les 43 millions qu’on a reçus c’est pour le fonctionnement, pour l’investissement on a eu je crois 14 millions. Maintenant ça, c’est le budget propre de l’État, il y a le fonds commun de l’éducation, cette année nous avons reçu 83 millions. C’est pour la confection des tables bancs et la construction des classes. C’est le fonds commun de l’éducation » (entretien avec un vice-président du Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
Tableau N° 2 : fonds reçus par le conseil régional de Dosso de l’État depuis la mise en place de la direction régionale du trésor
Dotation de l’année |
Fonds FAD |
Fonds péréquation |
Mois de versement |
2016 |
45 275 112 |
- |
Février 2018 |
2017 |
7 608 577 |
- |
Juillet 2018 |
2018 |
60 079 056 |
14 817 585 |
Février 2018 |
2019 |
21 617 552 |
4 402 940 |
Février 2020 |
rapport récapitulatif des fonds reçus par la direction régionale du trésor Dosso, mars 2020
13Il ressort de ce tableau que la région de Dosso reçoit, effectivement, de l’État deux types de fonds, les fonds d’appui à la décentralisation (FAD) et le fonds de péréquation. On constate également que ces ressources sont versées avec beaucoup de retard, pouvant aller jusqu’à deux ans. Par exemple, les subventions de 2016 sont reçues qu’en février 2018, celles de 2017, en juillet 2018 et pour ces deux années, la région n’a pas reçu de fonds de péréquation. Ce décalage dans le versement impacte sur le fonctionnement du conseil régional, comme cela est ressorti dans la partie fonctionnement des conseils régionaux. Il mis à jour les difficultés de légitimation M. Weber (1971) des collectivités territoriales. Pour cet auteur, la légitimation est cruciale pour le fonctionnement des structures et des institutions, elle fournit une base permettant aux individus ou aux groupes d’exercer un pouvoir sur les autres M ; Weber (1971, p 37). Dans les régions de Maradi et de Dosso, les conseils régionaux n’ont aucun élément d’appréciation sur les recettes. Les services fiscaux ne peuvent associer les collectivités territoriales ni à l’évaluation, ni au recouvrement parce que lesdits impôts sont du domaine de l’État. En plus, il ressort des entretiens réalisés que les exécutifs des conseils ne disposent pas à la date de nos enquêtes des compétences nécessaires à l’imposition de ces différentes recettes.
Le fonctionnement des conseils régionaux, une existence par la preuve
14L’organe délibérant de la région est le conseil régional. Le conseil régional règle par délibérations les affaires de la région dans le respect des compétences des autres collectivités territoriales (ordonnance n° 2010-54 du 17 septembre 2010, article 104). L’existence des régions collectivités territoriales en tant qu'espace public infranational pertinent F. Leloup, L. Moyart et B. Pecqueur (2003, p. 326) permet aux régions d’être acteur de développement local, à travers les politiques régionales qu’elles planifient et mettent en œuvre. Elles jouent également le rôle d’intermédiaire et ou de facilitateur pour les partenaires techniques et financiers intervenant dans leurs localités. C’est en cela que le développement local est analysé comme la résultante d'une dynamique entre acteurs privés et publics. En effet, il met en relation des groupes et des acteurs (syndicats, organisations paysannes, projets) qui jusqu’ici œuvraient séparément B. Guesnier (1986, p. 86).
« Le président du conseil régional œuvre beaucoup dans le sens de mettre ensemble tous les acteurs qui interviennent dans la région, à regarder dans la même direction pour contribuer au développement de la région. Selon sa philosophie, plus les gens communiquent ce qu’ils font et avec qui ils le font, plus les gens les aident à mieux le faire. Et c’est pour le bien de la région » (entretien avec un secrétaire général (SG) du Conseil Régional, mars 2020).
15Ce travail fondamental de connexion, de mise en relation, d’ouverture, d’échange, de communication constitue selon J-L Guigou (1983, p. 320) de véritables facteurs d’interactions et de synergie conduisant à un plus fort développement local B. Guesnier (1986, p. 156).
16Dans les régions de Dosso et Maradi, les présidents des conseils régionaux font de ces interactions des priorités. Dans ce nouveau contexte, le rôle de l'État et des pouvoirs publics se transforme. Le rôle de l'État se décline en trois missions : la redistribution, la médiation et la coordination. La redistribution se justifie notamment parce que tout le territoire n’est pas équitablement doté de ressources. C’est pour corriger cette inégalité que des structures comme l’agence nationale de financement des collectivités territoriales (ANFICT), par exemple, ont été créées. La médiation porte à la fois sur les instances internationales, les collectivités territoriales et les acteurs locaux. Au niveau régional, le représentant de l’État joue ce rôle.
« L’État nous accompagne, et c’est ce qu’on attend de lui. Actuellement, nous sommes obligés de faire des offensives dans tous les secteurs, sur tous les fronts comme on dit (rire). Par exemple, dans le secteur de la santé, le conseil régional (CR) ne fait pratiquement rien ! Mais on s’implique, on s’informe en attendant. C’est pour cela que ça fait un bout de temps quand même que c’est le président du conseil régional qui préside le comité régional de santé où on doit faire la planification de toutes les activités qu’on doit faire au niveau de la région.
Là, le travail technique c’est le président du conseil qui préside ça » (entretien avec un vice-président du Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
17L’accompagnement de l’État se traduit par la dotation de fonds aux collectivités territoriales et le renforcement des capacités des élus régionaux et communaux dans leurs domaines d’exercice.
Le retard de la dotation de l’État handicape la légitimité visuelle des élus régionaux
18Les ressources des collectivités territoriales se composent de transferts de l’État et de ressources mobilisées au niveau local. Le transfert de ressources de l’État suppose le transfert d’impôt ou de patrimoine que les collectivités peuvent exploiter afin de dégager des recettes. Quant aux ressources mobilisées localement, elles comprennent une série d’impôts et de taxes. Mais, les collectivités territoriales ne peuvent pas fixer les taux, d’une part, à cause du non transfert des compétences et d’autre part, parce que certaines taxes sont du domaine du ministère des finances. C’est seulement la direction générale des impôts qui en fixe les taux.
« Les dotations de l’État pour les collectivités territoriales sont, en général, en retard. Nous recevons les fonds du premier trimestre, de fois à la fin du deuxième ou troisième trimestre. Je vous laisse imaginer la suite » (entretien avec un vice-président du Conseil Régional à Maradi, janvier 2020).
19Aussi, le retard dans l’allocation de ces fonds handicape-t-il les efforts de développement des conseils régionaux mais aussi la régularité de la tenue des sessions du conseil. Or, de la tenue des sessions des conseils dépendent l’exécution du Plan de Développement Régional (PDR) et les actions de développement de la région.
« Mais, c’est un circuit qui est un peu lourd. Parce que nous on s’est même dit que comme avec les fonds de l’État, on n’arrive pas à faire des investissements, parce que nous sommes des politiciens, on fait une planification et c’est sur la base de la planification qu’on fait que la population va nous juger. Les fonds de l’État de fois ça n’arrive pas, donc, de fois on peut faire un an sans faire des investissements. Et, avec les fonds des partenaires il y a tellement de verrous que les investissements sont difficiles hein. On est en train actuellement, en 2020, de construire 4 classes et c’est avec les fonds 2018. On est en train de construire 2000 tables-bancs et c’est toujours avec les fonds 2018. Vous voyez c’est un peu compliqué » (entretien avec un vice-président du Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
20Un problème récurrent lié aux retards d'allocation des fonds est la perturbation, voire la paralysie, du fonctionnement du conseil régional. Habituellement, c'est le paiement de ces fonds qui détermine la tenue des sessions du conseil, où sont planifiées et décidées les actions à entreprendre.
« On arrive certes à tenir les sessions, mais c’est difficile, parce qu’il faut puiser par ci, par là pour les faire. Le manque de moyens joue également sur nos planifications, sur les actions à réaliser » (un vice-président au Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
21Ainsi, l’un des enjeux pour les conseils régionaux, c’est de trouver, pour les régions, les moyens de suppléer l’État au niveau local.
« La loi dit clairement que le conseil régional, c’est la région en tant que collectivité territoriale. Aussi, le conseil régional en tant que nouvelle institution se trouve en compétition avec d’autres acteurs qui sont déjà là, le représentant de l’État, les services techniques déconcentrés, donc c’est de trouver comment concilier tout. Pouvoir être capable de montrer que le développement des institutions locales ne se fait pas contre l’État mais en même temps que la démocratisation de l’État. Si le développement des institutions, leur autonomie et leurs capacités à développer leur territoire est réussi, c’est l’État en entier qui gagne » (entretien avec un président du Conseil Régional Dosso mars 2020).
22Étant donné la jeunesse de cette institution, avec peu de moyens et un État qui s’est désengagé, la régionalisation suppose aussi pouvoir développer des capacités en ressources humaines et financières propres. Le défi pour la région collectivité territoriale, c’est de pouvoir compter sur ses propres moyens, sur les ressources de la région, et être capable de mobiliser ses ressources propres.
« Quand on dit décentralisation et libre administration de la population, la libre gestion des biens et des personnes, ça suppose qu’il y a la capacité en ressources humaines et des moyens. Il va falloir donc que le conseil régional développe ses capacités en ressources humaines, en mobilisation des ressources régionales. Puisque le rôle de l’État, c’est l’appui-conseil, or l’appui de l’État n’est pas assuré parce que les textes qui doivent le réglementer ne sont pas encore adoptés » (entretien avec un président du conseil régional à Dosso, mars 2020).
23La régionalisation implique aussi un changement de mentalité des populations, la construction d’une nouvelle citoyenneté au niveau régional.
« C’est-à-dire, il faut que les citoyens mettent la main à la poche. Et pour qu’ils le fassent, il faut qu’ils aient confiance aux élus locaux. Il faut qu’ils fassent la différence entre ceux qu’ils ont eux-mêmes élus et le représentant de l’État. Puisque le représentant de l’État ne leur rend pas compte. Et donc, ils ont avec les élus, la possibilité de faire le contrôle citoyen, de voir où leur argent part. Et en tant que citoyen s’ils veulent qu’on leur délivre des services, il faut qu’ils payent ces services-là. Donc, inculquer dans la tête des populations cette nouvelle vision des choses, c’est-à-dire, les conseils régionaux ne sont plus des cadres de commandement qui vont avec la chicotte les obliger à décaisser et disparaître sans obligation de rendre compte » (entretien avec un président de conseil régional, mars 2020).
24Les dynamiques de régionalisation qui sont observées au Niger favorisent une démultiplication réelle des niveaux de gouvernance M. Tidjani Alou (2019, p. 197). Des pôles économiques sont en train d’être créés qui vont transformer considérablement les conditions (matérielles, financières, économiques, humaines) des collectivités territoriales.
Les pôles économiques de développement pour un ancrage du développement local
« Un pôle développement peut être naturel, c’est-à-dire, dû à l’existence de certains atouts qui peuvent être des vecteurs de développement des autres secteurs » (entretien avec un directeur de développement local au Ministère du Plan, janvier 2020).
25Pour promouvoir le développement économique et social du pays, le gouvernement s’est doté d’une Stratégie de Développement Durable et Croissance Inclusive (SDDCI-Niger 2035). De cette stratégie une seconde génération du plan de développement économique et social (PDES) a été élaborée et adoptée par le gouvernement (PDES-2017-2021). Le PDES accorde une place de choix à la promotion des pôles régionaux de développement dans le cadre d’une stratégie de développement régional intégré et harmonisé (MPAT/DC, 2018). Il faut rappeler qu’au Niger l’idée des pôles de développement économique a surgi en 1990 avec l’élaboration des diagnostics régionaux et les documents du schéma directeur de développement durable (SDDR) et du schéma régional d’aménagement du territoire (SRAT). Mais, c’est avec le PDES 2012-2015 que la volonté politique s’est clairement affirmée pour identifier et promouvoir des pôles régionaux. Dans la même période des pôles de développement économique, la dynamique d’élaboration des plans de développement régional (PDR) était aussi lancée en 2012. De 2013 à 2015, sept (7) PDR ont été élaborés. Cela a permis d’harmoniser les PDR avec le PDES et renforcer la synergie entre les deux documents. Cela a également facilité à chaque région d’identifier des pôles de développement.
« Les pôles de développement économique sont une bonne chose pour nous. Cela nous a permis de connaître les potentialités de nos régions mais également de prioriser et voir lesquelles peuvent tirer les autres vers le haut » (entretien avec un président de conseil régional, février 2020)
26Il faut enfin noter que la démarche ayant conduit à l’identification de ces pôles régionaux de développement varie d’une région à une autre. L’identification et le développement des pôles économiques et la création de pôles de compétences répondent à une dynamique devant permettre, avec les transferts de compétences aux collectivités territoriales, de renforcer les capacités opérationnelles des collectivités territoriales en matière de développement local.
Discussion
27La mise en place des conseils régionaux, inscrit l’État dans un processus de transformation pour augmenter l’efficacité de l’offre des services aux populations. C’est également un moyen permettant aux populations de gérer leurs propres affaires à travers les personnes qu’elles ont élues.
28En responsabilisant les collectivités territoriales dans l’effort de développement, l’État pense la construction du pays par la prise en compte des besoins des populations au niveau local et par une participation accrue des citoyens.
29La décentralisation n’entraine pas seulement un développement des responsabilités des collectivités locales, elle entraine également une conception très différente de l’intervention de l’État dans le local P. Coulmin (1986, p. 51). En effet, un changement de rôle dans la gestion des affaires publiques s’opère. Ce changement repose précisément sur une transformation profonde du mode d’intervention de l’administration. Tandis que se constituent les services propres aux communes et aux régions, l’administration de l’État se met, également, au service du développement local. C’est ainsi que les régions collectivités territoriales, de par leur statut conféré par le CGCT, trouvent la justification de leurs interventions au niveau conceptuel et définissent le développement local par leurs missions.
30Avec la mise en place des conseils régionaux le lieu du changement de l’environnement politique et économique du Niger se trouve modifié : « le centre de gravité se déplace ». Ainsi, le changement peut devenir plus concret et plus proche des citoyens. En effet, les régions, en tant qu’échelons territoriaux du découpage juridique de l'espace national jouent déjà un rôle primordial dans la planification et dans l'aménagement du territoire (MP, 1991, p. 182). Leur impact sur le développement local est réel. Le transfert de compétences dans les quatre domaines affirme la région, dans les faits, comme un niveau administratif de coordination et d'action. La région peut sur sa position intermédiaire, entre la commune et le niveau central bien jouer son rôle de coordination des actions de développement. En effet, vers le bas, elle peut constituer le niveau de cohésion des projets infrarégionaux et permettre d'articuler et de donner un sens commun à des initiatives multiples E. Keslassy et P. Zittoun (2014, p. 2).
31Les conseils régionaux sont devenus les acteurs chargés du développement au niveau local. Ils ont ainsi pour objectif de créer une synergie entre les potentialités du territoire, les ressources humaines et leur insertion dans les politiques globales du pays. Leur connaissance des potentialités de leurs collectivités va leur permettre de fixer des objectifs crédibles mais surtout réalistes autour desquels ils pourront mobiliser les populations et les ressources nécessaires. L’ordonnance n° 2010-54 du 17 septembre 2010, portant code des collectivités territoriales du Niger, à son article 5 dispose que, « La commune et la région règlent par délibérations les affaires relevant de leurs compétences. Elles ont pour missions, la conception, la programmation et la mise en œuvre des actions de développement économique, éducatif, social et culturel d’intérêt communal et régional. Elles concourent avec l’Etat à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social et culturel ainsi qu’à la protection de l’environnement, à la mise en valeur des ressources naturelles et à l’amélioration du cadre de vie».
32L’un des atouts de la mise en place des collectivités territoriales c’est la planification qu’elles permettent au niveau des différents paliers de la décentralisation. Aussi bien au niveau communal qu’au niveau régional, des plans de développement sont élaborés et mis en œuvre. Il ne s’agit pas ici de revenir sur les conditions d’élaboration de ces documents mais de parler des opportunités qu’ils proposent pour la planification des actions de développement. Ils permettent une vision plus ou moins d’ensemble des besoins des communes et des régions. Actuellement au Niger, toutes les régions se sont dotées de Plans de Développement Régionaux (PDR) et de schémas d’aménagements régionaux. Ces documents sont élaborés pour permettre aux exécutifs régionaux de disposer d’outils sur lesquels ils peuvent s’appuyer pour promouvoir le développement communal et régional et ainsi national. Idéalement, les différents documents devraient être harmonisés avec les documents nationaux dans le sens d’une vision pyramidale du processus de planification. C’est-à-dire, du Plan de Développement Économique et Social (PDES) qui a une vision nationale, on redescendrait vers le Plan de Développement Régional puis vers le Plan de Développement Communal, (voir PDES 2022-2026). Mais l’antériorité de la mise en place de la commune comme collectivité territoriale par rapport à la région a bouleversé ce schéma. Et d’ailleurs nombreuses sont les communes dont les plans de développement ne se sont pas alignés à la planification nationale.
« Tout ce que nous faisons, c’est une déclinaison de la politique de l’État. L’État a une vision globale du développement, elle est traduite dans le PDES. Quand vous prenez le PDES, vous verrez que c’est une vision nationale. C’est ça que nous déclinons dans le PDR en région. Nous essayons dans notre planification, de nous aligner sur la planification générale de l’État. Et donc, les PDC doivent être à leur tour une déclinaison des PDR. Mais malheureusement les PDR sont arrivés après les PDC. Mais sinon c’est ça normalement la logique. Le PDC-PDR-PDES. Il y a des visions pour atteindre les ODD, parce que si vous avez bien compris, si toutes les communes se développent, ce sont les régions qui vont se développer et si les régions se développent, c’est tout le pays qui se développe. Il y a une politique de l’État, on doit s’aligner c’est tout ! » (Un vice-président du Conseil Régional de Dosso, mars 2020).
33Le conseil régional apparaît, dans le champ politico-administratif du Niger comme l’échelon disposant d’une capacité potentielle à produire une catégorie dirigeante mieux à même de comprendre et à assurer des responsabilités politiques pour un pays en construction M. Danda (2004, p. 14). En tant qu’espace d’élaboration et de mise en œuvre des Plans de Développement Régionaux (PDR), la région apparaît comme un pilier pour impulser le développement local. C’est pourquoi, selon F. Leloup, L. Moyart et B. Pecqueur (2003, p. 328), plutôt que d’attendre un projet de développement venu de l’extérieur, les collectivités doivent développer des aptitudes à identifier et à valoriser leurs ressources, à susciter des initiatives locales, à faire émerger des porteurs de projets locaux et à générer un tissu de nouvelles entreprises. L’identification des pôles de développement économique définie dans les différents PDR répond à cette entreprise. C’est dans ce sens que pour M. Tidjani. Alou (2009, p. 198), « l’action publique locale portée par les élus est transformatrice dans son principe en ce sens qu’elle a pour tâche essentielle de construire un territoire, de lui donner une identité et de l’aménager dans le sens voulu par ses habitants » Aussi, l’un des enjeux pour les conseils régionaux est-il de savoir comment négocier le passage d’un État centralisateur à l’autonomie administrative et économique des collectivités territoriales. Le défi pour les conseils régionaux, c’est aussi de favoriser l’initiative locale dans la conception et la mise en œuvre de l’action publique M. Tidjani Alou (2009, p. 202). Les conseils régionaux doivent donc pouvoir compter sur leurs propres moyens et être capables aussi de les mobiliser.
34Les régions sont présentées comme des nouveaux espaces de l’action publique, du développement économique et de l’intégration sociale A-C. Douillet et R. Lefebvre (2017, p. 56). À ce titre, elles coordonnent les actions des nombreux partenaires au développement intervenant dans leurs entités. Pour ce faire, des cadres de concertation sont créés pour assurer un suivi de proximité des actions entreprises, mais surtout pour éviter des doublons dans les interventions des partenaires.
Conclusion
35Le développement régional et communal, tel qu’il se décline au niveau des collectivités territoriales doit être compris comme une coproduction de politiques publiques localisées par des institutions étatiques et non étatiques.
36De telles formes d’hybridations translocales et transnationales sont déjà à l’œuvre P-Y. Le Meur (2003, p. 14) au Niger. En effet, il est ressorti à travers ce travail que les régions sont déjà les points focaux de la coordination des actions de nombreux partenaires au développement intervenant dans leurs entités. Cette nouvelle configuration fait qu’elles « doivent légitimer leur existence dans un contexte où l’action publique est déjà portée par d’autres acteurs présents dans les arènes locales » (M. Tidjani Alou 2009, p. 10). Ainsi, en participant à la production et à la coproduction de politiques régionales, les conseils régionaux sont au centre des décisions et de la planification régionale. Même si encore de nombreux défis se présentent aux conseils régionaux, le transfert de compétences, toujours en cours, va donner encore plus de poids et conférer plus de responsabilités aux collectivités territoriales.
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Pour citer ce document
Quelques mots à propos de : Abdoutan Harouna
Socio-anthropologue
Doctorant au LASDEL et à l’Université de Niamey
abdoutan@yahoo.fr