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39 ‖ JUIN 2024

Issa Issoufou

La réputation de zinder1 comme « ville de protestations » : les zinderois entre recomposition de l’identité régionale et représentation sociale.

Article

Résumé

À partir du constat sociologique de certains faits et mouvements sociaux notamment la marche anti-Charlie2 et le phénomène des « Fadas » et « Palais3 » dont les crises étaient plus pressantes à Zinder, l’on se pose la question de savoir si la réputation de Zinder comme « ville de protestations » est une réalité ou un mythe. Pour aboutir aux résultats de la recherche, la recherche a mobilisé une méthodologie essentiellement qualitative. Outre la recherche documentaire ayant permis de parcourir des écrits ayant trait à l’identité et à la représentation sociale des citoyens de la ville de Zinder, des entretiens individuels ont été conduits à l’endroit des leaders d’opinions, de certains dignitaires de la chefferie traditionnelle, des acteurs de la société civile et l’endroit de quelques citoyens. Aussi, des séances d’observation ont permis de d’observer certains faits relatifs aux protestations à Zinder. Les résultats de la recherche montrent que les Damagarawas (les habitants autochtones de Zinder) ont, autour d’une conscience collective, du mal à accepter cette identité de contestation et de protestation. Ils fondent, cependant, leur raison sur l’injustice sociale qu’ils accusent en partie les autorités comme responsables. Cette conscience collective crée leur identité sociale désignée par « damagaranci4 ». La désacralisation de cette identité sociale provoque la colère des Zindérois déjà frustrés par : le transfert de la capitale de Zinder à Niamey, le récurrent problème d’eau et la tentative de la mise à l’écart d’un leader politique de taille de la région.

Abstract

Through the sociological observation of certain facts and social movements, particularly the anti-charlie demonstration on 15th January 2015 and the phenomenon of "Fadas" and "Palaces", whose crises were more obvious in Zinder, one wonders whether the reputation of Zinder as "city of protest" is a reality or a myth. The results of the research show that the “damagarawas”, through a collective consciousness built over the time, that could be called regional identity, developed a strong feeling of belonging to the Damagaram area. The desecration of this social identity is angering the “Zindérois” already frustrated by the transfer of the capital from Zinder to Niamey, the current running water and the attempt to sideline a major political leader of the region.

Texte intégral

01/06/2024

129-151

Introduction

1Située à plus de 900 km de la ville de Niamey la capitale du Niger, la ville de Zinder, de par ses infrastructures et sa démographie en pleine expansion revendique de nos jours la place de seconde ville du pays. Selon l’Institut National de la Statistique (INS, 2024) de Zinder, dans « Zinder en chiffres », la population de la ville de Zinder qui était de 392 835 en 2017, passe à 498 939 habitants contre 5 468 989 habitants pour toute la région, en 2024. En matière de densité de la population, Zinder bat le record avec 18,1% contre 11,9% habitants/km2 au niveau national. Au plan administratif, la ville a abrité le premier chef-lieu de la capitale jusqu’en 1923. Sur le plan social, Zinder regorge un patrimoine socioculturel important autour duquel les zindérois réaffirment une forme d’identité sociale symbolique d’appartenance au sultanat (S. ANDRE, 1981, p. 45). Tous ces aspects définissent la ville de Zinder encore appelée Damagaram comme spécifique dans son histoire et son passé institutionnel.

2Le Damagaram est ainsi un espace attractif de représentations et un territoire politique ayant une fonction de subsidiarité (J. OLIVIER DE SARDAN, 1993, p. 11). Toute la spécificité du Damagaram et les sources de sa vitrine identitaire trouvent leurs fondements dans les dynamiques socio-politiques et culturelles. Ce qui n’est pas contraire à la logique selon laquelle chaque société a ses caractéristiques, ses normes et ses valeurs spécifiques. Si le découpage administratif qui segmente le Niger en des régions pourrait être la base de constitution des sociétés, c'est-à-dire que les régions constituent des barrières d’identification des sous-groupes sociétaux au Niger, on peut considérer les  damagarawas  comme une société à part entière. Cela pour s’inscrire dans la logique de Y. GUERMOND (2007) et J. MONNET (2000, p. 14) qui pensent que les sentiments identitaires individuels regroupés peuvent donner naissance à des sentiments collectifs d’identité territoriale. Ainsi, M. DANDA (2012, p. 150) montre que les damagarawas ont souvent cherché à se faire identifier à travers un discours qui définit la région du Damagaram comme spécifique dans son histoire et son passé institutionnel. Évidemment, le territoire est un construit social (S. BIAREZ, 2000, p. 10). En effet, chaque région du Niger, selon les représentations sociales populaires, se distingue par un stéréotype qui déterminerait les comportements de sa population. À Zinder, l’identité des damagarawas est, généralement, décrite ou définie à travers des comportements de protestations. C’est pourquoi, cet article vise à répondre aux questions suivantes: comment les populations construisent-elles cette identité particulière d’une telle représentation sociale à partir des fondements sociohistoriques ?

Pour répondre à cette question, les hypothèses suivantes sont émises :

3Les comportements de contestation et de protestation qui singularisent la ville de Zinder tirent leurs origines de l’histoire de Damagaram qui s’est distingué par la résistance à la pénétration coloniale et la réputation du pouvoir traditionnel incarné par le sultanat de Zinder ;

4Le sentiment d’appartenance au Damagaram traduit par le réflexe identitaire a créé une sorte d’identité régionale autour de laquelle les Zindérois s’identifient.

La démarche méthodologique

5L’approche méthodologique envisagée est essentiellement qualitative. Elle est basée sur l’observation, l’entretien individuel et la recherche documentaire auprès des personnes ressources autochtones et étrangères considérées comme des allochtones vivant dans la ville de Zinder. L’entretien et l’observation des interactions entre les habitants de la ville de Zinder et les autres personnes ont concerné les anciens quartiers notamment Birni (qui désigne « ville » en hausa, c’est le nom du quartier des « premiers habitants » de la ville de Zinder où habite le sultan), Garin Malam (qui désigne le « village » de marabout) et Zengo (campement). Ces quartiers sont choisis car ils sont les premiers quartiers et donc les habitants portent en eux cette question de l’identité. Cela a permis d’inscrire la recherche dans la perspective d’A. TOURAINE (1996, p.41) qui considère que la notion de l’identité se résume dans le rapport entre l’individu et le collectif à la suite du processus de la socialisation. Nombre d’entretiens sont souvent non formels car le débat est provoqué autour de la question de l’identité sociale, des préjugés, et de la protestation des Zindérois au cours des occasions des rencontres entre des groupes des personnes à Zinder. Par contre, des entretiens formels (au total 20) ont seulement été conduits auprès des chefs des quartiers, des marabouts et des dignitaires du sultanat de la ville de Zinder qui détiennent l’histoire de la ville. Quant à l’observation, elle a porté sur les interactions entre les habitants de la ville de Zinder et les étrangers (non autochtones et non nationaux). Cette technique d’observation s’est particulièrement focalisée sur des faits et mouvements sociaux notamment les phénomènes des « Fadas » et « Palais » et la marche dite anti-Charlie du 15 janvier 2015 à Zinder. L’interprétation des données a consisté en une analyse de contenu et la transcription des faits observés en variables sociologiques pour rendre la réalité observée intelligible ayant un sens perceptible par tous. Mais cette analyse commence d’abord par exposer le nœud de débat autour de la construction de l’identité sociale des Zindérois.

Résultats et discussions

Le nœud de débat autour de la construction de l’identité sociale des Zindérois

6Chaque société a ses caractéristiques. Le constat de la théorie de l’identité sociale de H. TAJFEL & J. TURNER (1986, p.50) postule que chaque société développe une conception valorisante et dévalorisante appelée « stock d’identités ». Ainsi, les signes et les symboles socioculturels ou historiques choisis permettent la différenciation entre les zindérois d’origine et les allochtones. Pour établir le lien entre ce postulat du sujet de recherche, la connexion part de cette représentation ou disons de ce stéréotype divulgué le sens commun que « les Zindérois ou Damagarawas sont des contestataires ou protestataires ». Cette conception dévalorisante n’est pas acceptée par les membres du groupe qui cherchent à se justifier dès que l’occasion se présente. Qu’à cela ne tienne, le concept « badamagaré » qui désigne, selon, le premier sens, habitant de Damagaram revêt également un second sens et fait allusion aux comportements des habitants de Zinder. Comportements non appréciés par les autres Nigériens des différentes couches sociales. Il est évident que cette conception a largement envahi la conscience populaire qui stéréotype les Zindérois.

7Le deuxième axe de la problématique s’appuie sur le premier (celui de la conception dévalorisante). En effet, s’il est difficile au stade actuel de cette recherche de confirmer ou d’infirmer cette représentation sociale, on peut cependant s’interroger sur l’originalité de certains faits et mouvements sociaux récents de protestations ayant eu lieu à Zinder. Il s’agit par exemple de la marche anti-Charlie de 2015, du phénomène de « fadas » et « palais », et de la marche du 28 mars 2014. Des recherches commanditées sur les mêmes questions montrent que les raisons ayant conduit à tous ces faits de protestations sont notamment économiques, socioculturelles, politiques et religieux (A. DICKO et al, 2016, p.7 ; N. A. ISSALEY, 2016, p.16).

Zinder, « ville de protestation » : de la construction sociale à la réputation

8Dans le creuset des soubresauts et de combats idéologiques et politiques qui valent à la ville le qualificatif de « ville de protestations», on a encore et aussi à l’esprit les mouvements de protestation et de contestation comme la marche anti-Charlie de 2015. Cette marche, tout comme les autres mouvements sociaux, qui s’origine à partir de la ville de Zinder font inquiéter non seulement les autorités, mais aussi la population qui aspirent à la paix. C’est l’exemple récent, de l’arrêt des acteurs de la société civile qui ont projeté une marche à Zinder, un vendredi pour protester contre la loi des finances 2018. La sanglante marche anti-Charlie a eu lieu un vendredi 16 janvier 2015 après la prière de quatorze heures. Cette marche a fait l’objet d’une diffusion dans les médias. Le caractère inhabituel de la marche surprend la population qui affirme que « le drapeau de Boko Haram aurait flotté pour la première fois à Zinder ». Dans la presse écrite, ces événements qui se sont succédé dans le temps et qui, dans la plupart des cas, ont eu des échos dans d’autres régions du pays, autant dans la forme des manifestations que dans le contenu des revendications, et le recours à la violence, constituent un motif suffisant pour parler de Zinder comme « ville de protestations». L’image suivante montre le caractère violent de la marche anti-Charlie du 15 janvier 2015.

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Source : www.tamtaminfo.fr? 2015.

9On se rend aussi compte que dans l’imaginaire collective de nombre des Nigériens, Zinder constitue une ville aux caractéristiques singulières marquées par la violence. Cette construction prend racine dans la période pré-coloniale, pour se concrétiser dans les premiers rapports des colonisateurs avec cette population qui s’était opposé farouchement contre la pénétration coloniale (S. ANDRE, 1981, p.5). Les formes de manifestations de la violence inscrites dans le conflit social ne sauraient être des prétextes suffisants pour considérer Zinder comme une « ville rebelle ». En reconnaissant par contre sa spécificité, l’accent est mis sur son histoire, ses populations et leur rapport à cette histoire, rapport qui permet de construire une identité sociale collective spécifique. La tendance des propos des enquêtés, lors des entretiens individuels, sur les qualifications des Zindérois, sans nier dans la plupart des cas les comportements de violence, convergent vers la même vision « nous contestons contre l’injustice car nous on aime la vérité ».

Les Zindérois aiment la vérité et comme les gens n’aiment pas la vérité, ils ont tendance à dire que les Zindérois aiment les contestations et les protestations. On ne supporte pas les moqueries. Partout où tu rencontres un vrai Zindérois, il se caractérise par son esprit d’intégrisme, il est franc et il ne supporte pas les mensonges et la fourberie. Je pense que c’est ça être zindérois. On adopte un comportement sincère pour ne pas trahir le nom de Zinder à l’égard des autres (homme, enseignant à la retraite du quartier Birni-Zinder).

10La tendance des propos des enquêtés convergent vers la logique qui consiste à reconnaître tacitement les comportements de protestations et de contestations en apportant des justifications pour la cause fondée sur l’amour de la vérité et de la justice. D’autres plutôt s’intéressent à la question de l’identité sociale :

Moi, mes parents ne sont pas de Zinder. Quant à moi, je suis à Zinder et j’ai fait mes études primaires ici. J’ai aussi étudié à Maradi, on entend ce que les gens là-bas disent : ils pensent que tous les Zindérois sont « méchants ». En réalité, il faut vivre à Zinder pour comprendre de quoi il s’agit concrètement. Même à Zinder, les gens n’ont pas des comportements identiques. Ceux qui montrent qu’ils sont vraiment de Zindérois sont ceux, par exemple, de Garin Malam et de Birni. Et là même il faut que tu touches à leur identité ou dignité (Etudiant en fin de formation, vacataire dans une école privée à Zinder).

11C’est pourquoi, certains auteurs insistent sur le réflexe de la réaction collective chaque fois que cette identité sociale des Zindérois est menacée. Ces comportements se sont matérialisés à maintes reprises comme cela ressort de cette assertion de M. DANDA (2012, p. 25) :

En tant que communauté d’appartenance, la région traduit à la fois la conscience et la volonté d’une collectivité de former un ensemble cohérent sur un espace déterminé (…). Cette caractéristique s’exprime avec force dans le cadre du Damagaram, où les acteurs mettent souvent en avant le réflexe identitaire et le sentiment d’appartenance pour plus de cohésion entre leurs membres comme cela a été le cas avec le lancement du multipartisme au Niger et la création des nouveaux partis politiques.

12Cependant, la substance des entretiens évoque aussi d’autres fondements sociohistoriques et politiques comme source de frustrations qui affectent profondément la vie des Zindérois.

Le politique et les Zindérois

13Pour mieux comprendre la portée de l’influence politique dans la vie quotidienne des Zindérois, il faut l’appréhender dans son contexte historique. Selon M. DANDA (2004, P.7), cet espace a la réputation d’être l’un des plus politisés sinon le plus politisé des huit régions du Niger, c’est-à-dire un espace où s’est affirmée la tradition de combat pour des « grandes causes » (l’Islam, la pénétration coloniale, l’affirmation du micro-nationalisme, etc.). Le sentiment d’être héro qui se traduit dans le discours des Zindérois comme « nous Zindérois » accentue la grandeur de réussite à l’image des grands héros dont Amadou Kouran Daga, qui avaient résisté vaillamment à la pénétration coloniale. Pendant la guerre sainte du jihad, le territoire de Damagaram n’a pas été concerné puisque la population était déjà musulmane. Cette politisation s’est traduite dans un verbe éclatant des Damagarawas qui ont une vertu mobilisatrice régionale et qui rehaussent la séduction auprès de groupes communautaires avec lesquels ils partagent le même sentiment ethno-régionaliste. Une telle vertu est constatée au cours des premières années du multipartisme et de la démocratisation où on a assisté, au Niger, à une importante mobilisation du groupe haoussa, en général, et des Damagarawas, en particulier, autour du parti CDS-SRAHAMA5 dirigé par un Haoussa originaire de Zinder (Op. cit).

14Il faut noter que cette politisation s’est construite au fil du temps et tend à être excessive au point d’emporter, momentanément, l’esprit de négociation et de compromis pragmatique entre les forces sociales du Damagaram et les représentants du pouvoir central en région. Le fait que Zinder soit le fief de l’opposition ne provient pas du hasard. Il proviendrait en partie du conflit interne du parti CDS-RAHAMA qui n’est plus aujourd’hui dirigé par un leader zinderois après une décision de justice. Cette décision qui défavorise l’ancien président Mahaman Ousman accélère la colère des Zinderois non satisfaits du jugement et accuse l’État de la septième République comme seul responsable.

Le transfert de la capitale

15Il était peut-être prématuré d’appeler Zinder capitale en cette période (de 1899 à 1923), mais en réalité c’est de cela qu’il s’agissait puisqu’elle abritait le premier chef-lieu de l’administration coloniale sur le « territoire nigérien ». Suite à une lettre écrite par le commissaire du gouvernement général au territoire du Niger en date de 10 juillet 1922, relatant un certain nombre des raisons de déplacement de ce chef-lieu d’administration coloniale au gouverneur général de l’Afrique occidentale française à Dakar figurent parmi les raisons les conditions de vie des agents mais aussi le positionnement de Zinder dans le désert et le problème d’eau. Le fait que Zinder eût abrité le chef-lieu de l’administration coloniale avant son transfert à Niamey, a suffisamment occasionné des frustrations chez les élites et les leaders politiques de cette région. Cette frustration s’identifie à travers un discours qui définit la région de Damagaram comme spécifique dans son histoire et son passé institutionnel. Cette recherche d’originalité de la part des leaders politiques de la région de Zinder a donné et continue de donner une tonalité et une singularité des discours contestataires contrairement aux autres leaders politiques nationaux (pas tous) plus portés vers une vision consensuelle.

16En fait, les discours de certains hommes politiques et de certains intellectuels à l’endroit des citoyens zindérois a beaucoup contribué à la protestation contre toutes mesures qui n’arrangent pas toujours les populations, notamment celles qui s’adonnent au commerce.

Le problème d’eau à Zinder

17Tout comme le problème politique pour lequel la population de Zinder a perdu l’espoir, le transfert du centre administratif, le problème d’eau fait partie des préoccupations de la population de la capitale de Damagaram. Le récurrent problème d’eau dans la ville de Zinder n’est pas un problème isolé, mais il est lié aux différentes interprétations qui vont suivre. Dans la lettre du commissaire du gouvernement général au territoire du Niger, le problème d’eau fait partie des causes ayant conduit ce dernier à demander le transfert stratégique du centre administratif comme le témoigne le passage suivant : « Zinder manque d’eau (…). La question d’eau s’est posée le premier jour de l’installation à Zinder du chef-lieu du territoire, car les puits sont à plusieurs kilomètres et obligent à rationner l’habitant. » (Le commissaire du Gouvernement Général au territoire du Niger, 1922). Cette lettre datant de 1922 reflète toujours une réalité car le problème d’eau continue à sévir à Zinder. Les explications des spécialistes du domaine hydraulique et les scientifiques lient le problème d’eau à l’accroissement démographique, à l’urbanisation accélérée et au développement économique de la ville de Zinder (I. MAMADOU et al. 2016, 111). Cependant, les interprétations collectives de la population ne vont pas de pair avec celles des spécialistes. En effet, pour :

certains Zindérois le problème d’eau à Zinder est purement politique et entretenu pour la conquête de l’électorat. En quelque sorte le sort de la population reste dans la main des hommes politiques qui manipulent la situation en leur faveur. Cette logique s’inscrit dans la logique de PUMAIN et al. (2006) qui pense que la création d'une identité reste le croisement aléatoire d'une volonté politique et d'une reconnaissance de la validité des affirmations exprimées dans l'identité proposée. Ainsi, la construction du site d’exploitation d’eau d’Aroungouza6 a fondé l’espoir pour une résolution définitive du problème comme l’ont laissé entendre les autorités en 2005 qui avaient affirmé résoudre le problème pendant au moins 25 ans : mais 5 ans plus tard voici la description du journal le Damagaram (N°22-23 février-mars, 2010, p. 3).

On s’en souvient, il y a peu de temps encore, il se racontait que la population de Zinder et de sa périphérie disposera d’eau potable qui couvrira largement des besoins en quantité suffisante pendant au moins 25 ans. Du coup, cela redonnait une âme à l’avenir de cette ville jadis fière, capitale de cette cité-Etat du Damagaram que le manque d’eau condamnait à sous-vivre. Mais début mars, toutes ces belles phrases sont tombées comme château de neige au soleil. Toutes ces joies nouvelles se sont vues balayer d’un simple revers de la main quand, brusquement, l’eau s’est arrêtée de couler dans les robinets du commun
citoyen.

Au regard de la gravité de la question d’eau à Zinder, nombre de personnes sont si pessimistes, elles considèrent le problème comme relevant du fatalisme. En d’autres termes, seul Dieu trouvera, un jour, une solution à cette situation. Cette catégorie de la population est découragée et ne croit à aucune explication normative. 

18Dans tous les cas, qu’elles soient scientifiques ou techniques, les explications ne donnent pas satisfaction et provoquent souvent la colère de la population qui se manifeste par des marches violentes -comme ce fut le cas à Zinder le 28 mars 2014.

19Tous ces facteurs interagissent et créent au niveau des Zindérois une certaine frustration et un sentiment d’abandon de la part de l’État censé pourtant garantir un certain nombre des conditions de vie à la population de la deuxième ville du pays.

Discussions

20Les grands axes des discussions de cette analyse s’articulent autour de la construction de l’identité sociale, de la représentation sociale et de la justification de la croyance populaire des comportements des Zindérois. En discutant les faits et les mouvements sociaux récents ayant fondé la base de problématique de cette recherche, un certain nombre de constats se dégage. Le premier est celui qui consiste à s’interroger sur la nature des mouvements sociaux qui prennent naissance à partir de Zinder. Autrement dit, il s’agit de comprendre à travers certaines manifestations, si les protestations sont inhérentes aux comportements des Zindérois diffusées dans le processus de la socialisation comme le démontrent certains sociologues à l’image d’A. TOURAINE (1996, p. 60). La marche anti-Charlie dont la question religieuse est centrale, confirme-t-elle que la ville de Zinder est plus islamisée que les autres ? Il serait difficile de répondre par affirmative car des recherches sur les causes profondes de la marche supra citée ne mettent pas en avant la religion, mais plutôt une chaine des raisons liées aux conditions économiques, sociales et politiques (N. A. ISSALEY, 2016, p. 16). D’ailleurs, A. SOUMANA (2019, p. 115) montre que l’islam de Zinder est de dominance traditionnelle, donc n’est pas du tout radical.

21Quant à La marche de 28 mars 2014 relative aux revendications d’approvisionnement en eau potable et à la réduction des prix des hydrocarbures à la pompe, les motivations semblent être douteuses car comparativement aux autres régions comme Niamey, la population de Zinder consomme les hydrocarbures à un prix dérisoire (300 FCA le litre à l’époque). Pourquoi alors cette marche n’a-t-elle pas eu lieu à Niamey où le prix des hydrocarbures à la pompe est de 540 F CFA ?

22Ces éléments de discussions ci-haut cités et bien d’autres laissent croire à la population que les représentations sociales de protestations sont fondées. Par contre, S. ANDRE (1981, p.12) perçoit que le développement des identités locales comme une dynamique propre, d’un esprit de solidarité, de la confiance en soi et du sens de l’expérience collective vécue traduisent l’identité sociale symbolique d’appartenance au « Sultanat de Zinder au XIXème siècle ». Encore plus récent, M. DANDA (2012, p. 25) en s’inscrivant dans la dimension spatiale de l’analyse historique de S. ANDRE considère que les Zindérois font de leur territoire un espace de référence :

Dans cette logique, ils ont cherché, au moyen d’une rhétorique discursive, à s’identifier à leur espace plus qu’a tout autre territoire. Avec cette vision centrée sur le territoire d’appartenance, l’on semble assister à une certaine prééminence de l’identité régionale sur l’identité nationale. En tant qu’espace de référence des acteurs dans leur effort de pensée, la région prend ainsi le sens d’une catégorie socio-spatiale sous-tendue par une conscience qu’ont les membres de leur existence.

23Quant à la représentation sociale relative à l’esprit de protestation, les entretiens montrent que les enquêtés ne réfutent pas automatiquement le stéréotype, mais plutôt cherchent les justifications. Elles sont le plus souvent axées sur la préservation de l’identité du territoire et de la dignité des personnes de l’espace régional. ce qui montre que l’attachement à l’identité régionale est aussi fort que celui à l’identité nationale.

Conclusion

24En tant que communauté humaine et culturelle, en référence au Damagaram historique, la région fait une place prépondérante aux facteurs socioculturels. La grande renommée du sultanat de Zinder et de ses héros, à l’image d’Amadou Kouran Daga, fait la joie des Damagarawas qui construisent autour d’eux, un sentiment d’appartenance à une culture socialement forgée appelée « Damagaranci ». Ce concept loin de désigner, simplement le fait d’être Zindérois, révèle le sens dont la population de Damagaram est perçue dans la conscience collective : les Zindérois sont « méchants », « contestataires » ou « révolutionnaires ». En réalité, la protestation fait référence à la préservation, voire à la construction d’une identité régionale ainsi emblématisée. Par ailleurs, on constate aussi que le transfert de la capitale de Zinder à Niamey, le problème d’eau et la récente crise politique sont des thématiques, qui continuent de configurer cette identité de protestation des Zindérois.

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Notes

1 La ville de Zinder est aussi appelée ville de Damagaram. Les deux (2) appellations sont utilisées dans le texte.

2 En 2015, après « la marche républicaine » organisée par le gouvernement français et à laquelle a pris part le président nigérien et au cours de laquelle, Issoufou Mahamadou a publiquement réaffirmé le soutien du peuple nigérien au peuple français en prononçant que « je suis Charlie ». Des marches violentes de contestations ont eu lieu dans les villes du Niger contre la participation du président nigérien à cette marche. Il n’était pas surprenant que cette marche commence à Zinder et a eu plus des dégâts tant humains que matériels. Le bilan officiel fait état de 4 morts

3 Fada et Palais sont des organisations informelles des jeunes désœuvrés qui s’organisent pour mener des activités de prises de thé et surtout des violences. Ils sont généralement visibles que pendant la nuit où ils perpètrent des violences sur toutes catégories des personnes et n’épargnent ni les jeunes ni les vieillards.

4 Ce concept dans la conception locale désigne le fait d’être habitant de la ville de Zinder ou de la région. Au sens large, il désigne les comportements de contestations des zindérois, ce qui les distinguent généralement des autres couches sociales nigériennes. Cette « étiquette » fait de Zinder comme ville ou région singulière en matière d’identité sociale au Niger.

5 Ce parti n’est plus dirigé aujourd’hui par Mahamane Ousmane, ancien Président de la république du Niger de 1993 à 1996. Le parti a connu une crise profonde de leadership et, est aujourd’hui dirigé par un autre haoussa de Maradi. Actuellement, le parti risquerait d’être dirigé par un autre militant car ce dernier (Addou Labo) serait impliqué dans une histoire de trafic d’enfants et la justice le prive de sa liberté civique.

6 Ce village est situé à environ une trentaine des kilomètres au nord de la ville de Zinder. Il abrite le deuxième site de captage d’eau qui ravitaille la ville de Zinder et les villages situés au bord du chemin menant de Zinder à ce village.

Pour citer ce document

Issa Issoufou, «La réputation de zinder1 comme « ville de protestations » : les zinderois entre recomposition de l’identité régionale et représentation sociale.», Mu Kara Sani [En ligne], Numéro, 39 ‖ JUIN 2024, mis à jour le : 16/10/2024, URL : https://revue-irsh.org:443/mukarasani/index.php?id=236.

Quelques mots à propos de :  Issa Issoufou

Université André Salifou de Zinder, NIGER

yakoissa@gmail.com