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39 ‖ JUIN 2024
Blessures dans la filiation et maternité adolescente : Enjeux psychodynamiques à partir d’une étude de cas clinique
Résumé
L’article retrace le travail effectué par une psychologue clinicienne au Gabon dans la compréhension d’une adolescente enceinte devenue mère. Il situe la problématique dans un contexte général lié à l’évolution dans le discours social, familial et psychologique. Les résultats font état des enjeux psychodynamiques dans le sens donné à la grossesse et maternité adolescente : désir œdipien mal assumé/désir inconscient de répétition maternelle et restauration du narcissisme. L’auteur conclut que grossesse précoce et maternité adolescente sont liées à une défaillance des conflits intériorisés et à « l’acting out » sexuel qui est une modalité défensive pour traiter les conflits intérieurs.
Abstract
The article traces the work carried out by a clinical psychologist in Gabon in understanding a pregnant teenager who became a mother. It places the problem in a general context linked to developments in social, family and psychological discourse. The results show the psychodynamic issues in the meaning given to adolescent pregnancy and motherhood: poorly assumed Œdipal desire/unconscious desire for maternal repetition and restoration of narcissism. The author conclude that early pregnancy and adolescent motherhood are linked to failure of internalized conflict and sexual ‘‘acting out’’ is a defensive modality for dealing internal conflicts.
Table des matières
Texte intégral
01/06/2024
86-111
Introduction
1Bien qu’au départ la psychanalyse n’ait pas insisté sur la période adolescence en tant que moment privilégié où peuvent éclore certaines prédispositions aux organisations psychiques, force est de constater avec Mâle (1982, p. 69) que tout ce qui se prépare dans l’enfance se joue à l’adolescence. Dans cette optique, l’adolescence reste un « organisateur psychique » au même titre que les organisateurs psychiques mis en évidence par Spitz à propos de l’enfance. L’adolescence est donc un temps répétant les conflits infantiles inélaborés à la nouvelle grille de la génitalité, tout en préparant la personnalité et l’œuvre à venir.
2Dans chaque culture, dans chaque région et dans chaque pays, la grossesse à l’adolescence est un fait qui revêt une forme singulière. Il est donc nécessaire, pour comprendre et en avoir une vision globale, de l’appréhender dans son contexte.
3Les Psychologues cliniciens sont à même de détecter, de repérer des signes rendant compte de de la vie psychique du sujet et en comprendre le sens et le vécu du sujet. Ainsi dans cette dynamique, questionner l’adolescente enceinte qui entrera bientôt dans le processus de maternité n’en est que plus pertinent, d’autant que la grossesse voire la maternité à l’adolescence est aujourd’hui, avec les temps modernes, devenue un nouveau signal d’alarme voire même une nouvelle maladie psychiatrique (Chapelier (2000, p. 15).
4L’intérêt manifesté des chercheurs autour de la problématique de la maternité précoce des adolescentes est universel. Les multiples séminaires et conférences nationaux et internationaux mais aussi le nombre croissant de grossesses et de maternité adolescent nous interpellent sur la question.
Grossesse /maternité précoce : un nouveau fléau
5En occident par exemple, des études psychologiques ont été réalisées. Plusieurs études indiquent que la maternité à l’adolescence réduit les chances de poursuivre des études et d’avoir un emploi et augmente le risque de se trouver chef de famille monoparentale et de vivre constamment dans la pauvreté. En effet, la fécondité adolescente serait un « fléau social » et d’aucuns l’approchent amplement sous l’angle d’un « problème » en raison des conséquences sur la santé et le bien-être de la mère et de l’enfant.
6Chapelier (2000, p.15) assimile la grossesse à l’adolescence à une nouvelle maladie. Il augure que la grossesse à l’adolescence est, au regard des acteurs, devenue un nouveau signal d’alarme voire une nouvelle maladie psychiatrique. Allant dans le même sens que Chapelier, Sellenet et Portier-Le Cocq (2013, p.6) approuve l’idée de Chapelier en affirmant que la maternité à l’adolescence apparaît aujourd’hui comme un fait anomal, perçu généralement comme un symptôme (signe de risque) psychosocial, sans que le vécu des jeunes mères soit toujours pris en compte. Ainsi, considérer la grossesse comme un fléau, une pathologie n’est plus concevable seulement du point de vue du psychologue clinicien occidental. Car, même si le décentrage ethnologique nous renvoie une conception très différente de la grossesse à l’adolescence, force est de constater qu’en Afrique surtout dans les grandes villes, la grossesse adolescente devient une préoccupation pour les familles (OMS, 2020, p.6). Elle n’est plus seulement perçue comme une possibilité de procréation et de fertilité. Elles constituent dorénavant, selon l’OMS (2020, p.3), un problème de santé publique particulièrement dans les pays de l’Afrique subsaharienne.
7En Afrique, le rapport final du Groupe pour l’étude et l’enseignement de la population au Sénégal (2013, p.41), le rapport final de l’UNICEF au Gabon (2017, p.45) mais aussi, l’étude de l’OMS (2020, p.6) nous indiquent que les adolescentes enceintes, non seulement, inquiètent les familles et la société mais elles forment une population cumulant plusieurs facteurs de vulnérabilité psychosociale et de santé publique. C’est pourquoi, questionner les grossesses précoces / la maternité adolescente nécessite de prêter attention à l’environnement familial pour notre part. Du coup le passage de Marcelli et Braconnier (1999, p.689) qui augure que la grossesse précoce est un risque d’adolescence avorté a son sens dans les villes africaines.
8Grossesse/maternité précoce : un rite de passage pour une reconstruction personnelle
9Comprendre le phénomène de la grossesse précoce c’est accorder une grande importance aux aspects psychologiques. Bydlowski (1993, p.24) envisage la grossesse précoce sous l’angle d’un passage à l’acte qui tient compte de la représentation maternelle des premiers soins de la mère et de sa tendresse. En effet, le désinvestissement des objets infantiles va lui permettre de remanier son monde intérieur.
10Ainsi, à travers ce désengagement, la réorganisation libidinale et l’individuation du sujet sont actives, pouvant être le siège d’un théâtre du passage à l’acte. Car l’adolescente sait qu’elle peut faire face à des difficultés pour élaborer ses conflits, et donc elle peut les mettre en acte par des conduites à risque. C’est l’exemple de la grossesse adolescente, qui le plus souvent, est vue comme un passage à l’acte. De ce fait, l’adolescente qui n’arrive pas à élaborer ses conflits sexuels et parentaux peut désirer immédiatement avoir un enfant (Bydlowski, 1993, p.24).
11Par ailleurs, Le Van (1998, p.112) envisage la maternité à l’adolescence en tant qu’un acte de passage permettant, au moins dans l’esprit de la jeune fille, de parvenir à une identité de femme ou d’acquérir un statut d’adulte socialement reconnu. Tout cela suppose, que les transformations corporelles et hormonales qui sont à l’œuvre induisent la maternité à s’inscrire dans le corps. Dès lors, l’accouchement est vécu comme un rite initiatique, d’une part ; la maternité voire la présence de l’enfant infère des conduites socialement réservées à l’adulte, d’autre part.
12Contrairement à Le Van (1998), Chapelier (2000) tout comme Alvin et Marcelli (2005) affirment que le rite initiatique passe par l’école. Pourtant, pour quelques adolescentes, l’école ne joue pas cette fonction de rite initiatique. Ainsi, pour Séraphin (2012, p.5), le rite peut s’apparenter à un « moment clé » dans la vie des personnes, celui qui valorise le passage d’un statut à un autre. Il a donc une fonction séparatrice. Dans une telle optique, le rite marque des passages de non-retour dans le parcours de vie et distribue les individus entre ceux qui l’ont subi et ceux qui ne l’ont pas subi, voire également entre ceux qui y sont associés ou pas. D’ailleurs, à l’extrême, le rite peut ainsi s’avérer discriminant, classant les membres de la société en catégories ou communautés.
13Par ailleurs, Pasini (2013, p.36), par contre, explique la survenue d’une grossesse à l’adolescence par le doute sur sa fertilité lorsque la jeune fille se sent femme physiologiquement, elle le confirme par des expériences sexuelles et parfois par la maternité. On peut dire que la grossesse devient un indice de « normalité », le symbole d’une féminité déjà actuelle. Dans les sociétés dites traditionnelles, le rite vient symboliquement acter le passage de l’enfance à l’âge adulte et l’inscription dans le système filiatif par un encadrement rituel et sociétal.
14L’étude de Pasini témoigne des bienfaits de la grossesse adolescente sur la jeune fille. Même si les travaux qui mentionnent les effets positifs de la grossesse et de la maternité précoces sont rares, nous pouvons tout de même évoquer le travail de Geronimus (1996, p.230) qui traitent de l’estime de soi chez les jeunes mères. Cette étude a relevé une augmentation importante de l’estime de soi chez ces jeunes, un état de transformation positive et de stabilité liée à la naissance de l’enfant.
15A cette étude, s’ajoute celle de Bidiongo Moussodo (2015, p. 82) qui s’est intéressée aux mères adolescentes du Gabon, pays d’Afrique Centrale. A travers le vécu des jeunes mères scolarisées, l’auteur questionne le parcours de vie de ces « mamans ados » et conséquemment les mécanismes qui leur ont permis de concilier études et maternité.
16Au final, ces travaux, bien que riches en informations, ne montrent pas clairement les déterminants psychologiques de la grossesse/maternité à l’adolescence. Que pouvons-nous en dire ?
Déterminants psychologique de la grossesse précoce/maternité
17A côté des facteurs cités plus haut, il est important de souligner le rôle de l’environnement et de l’histoire familiale comme autre facteur déterminant la grossesse adolescente. La clinique de la maternité montre la différence et la complémentarité entre féminité et maternité. Selon Mouras (2004, p.97), la féminité est un choix de parenté avec l’originaire alors que la maternité est un désir de reproduction de la situation originaire.
18De ce point de vue, Bydlowski (2008, p.205) questionne les racines inconscientes du désir d’enfant, particulièrement chez la femme, en se référant à la théorie freudienne. Dans son analyse, la grossesse adolescente est liée à sa vie psychique. Selon l’auteur, la grossesse/maternité adolescente semble être un processus défensif contre l’angoisse ressentie face aux conflits sexuels et parentaux. Il semble que ce système défensif est là pour protéger contre la menace d’effondrement psychique que provoquerait l’envie du pénis paternel.
19D’ailleurs, Delassus (1990, p.102) et Byldowski (2008, p.126) distinguaient désir d’enfant et désir de maternité, même si ces termes sont souvent associés. Le désir d’enfant peut être, selon les auteurs, une simple projection sur autrui, considération d’un autre soi-même, besoin de continuer à bénéficier de l’attribution de l’originaire. Ce désir est plus féminin que véritablement maternel. D’autre part, le désir de maternité est l‘état d’esprit qui correspond à la nécessité personnelle de fournir à autrui la matière même de l’originaire, que ce soit sous ses formes psychiques ou physiques.
20L’analyse des travaux de Delassus, tout comme ceux de Byldowski, montrent l’existence d’une maternité non seulement physique, mais aussi psychique. Ce qui pourrait certainement mieux expliquer le sens des maternités en général et celui des maternités adolescentes en particulier. In fine, selon ces auteurs, l’origine du désir d’enfant serait donc œdipienne au moins en partie. Ce n’est pas un réel désir de maternité ; ce qui compte, c’est l’enfant en tant qu’objet phallique d’appoint.
21Dans la même perspective, Mourras (2004, p.98) et Le Van (2006, p.227) ont relevé que, chez les jeunes mères provenant des milieux familiaux problématiques, l’enfant avait une fonction réparatrice. Il s’agirait alors de réparer le lien manqué dans l’enfance avec la mère. Pour les auteurs, le temps de la grossesse et juste après la naissance, permet à l’adolescente d’oublier la mauvaise mère en essayant de se donner une nouvelle chance de se rapprocher de sa propre mère. C’est donc une renaissance, une tentative de restaurer une relation avec la mère du début, mais qui serait cette fois gratifiante. Winnicott (1975, p.126) avait déjà montré le rôle de l’environnement stable dans le développement du bébé. Il a montré, d’une part, qu’une mère suffisamment bonne assure le sentiment de sécurité et le sentiment d’être aimé de l’enfant ; d’autre qu’un milieu familial instable est source d’angoisse et d’insécurité affective de l’enfant.
22A propos des carences affectives, Lemay, (2012, p.39) a observé qu’il existe chez des enfants abandonniques un profond sentiment de perte décrit par un manque fondamentalement douloureux ressenti par ces enfants. Cette blessure selon l’auteur peut être vécue comme « irrémédiable » ou susciter un espoir irréel de retrouver l’objet du manque (Lemay, 2012, p.39).
23Au final, nous nous inscrivons à la suite de ces études sur les facteurs psychiques déterminants la grossesse à l’adolescence. En effet, rares sont les études au Gabon qui abordent les enjeux psychodynamiques des grossesses précoces.
24La présente recherche part d’une constatation clinique, à travers l’histoire de trois mères adolescentes qui ont fait état dans leurs discours des relations traumatisantes telles que l’abandon de la mère et parfois du père, des sévices corporels traduisant des dysfonctionnements familiaux. Bien souvent, dans ces récits, il semble avoir des non-dits à propos des raisons ayant conduit aux dysharmonies de liens dans la famille, mais aussi et surtout concernant les raisons de se situer dans le processus de maternité précoce et de filiation. À partir de ce constat, s’est posée la question du rôle joué par certains événements de vie et par certaines discontinuités familiales. Dans cette optique, quelles peuvent être les conséquences des dysharmonies familiales à l’adolescence ? peut-on parler des enjeux psychodynamiques dans le contexte de la grossesse précoce et de la maternité chez l’adolescente ? Pourquoi évoque-t-on ces enjeux pour comprendre et expliquer la grossesse et la maternité adolescente ? Ces questions non exhaustives vont guider notre réflexion et nous permettre de nous pencher sur les dimensions intrapsychiques qui inscrivent l’adolescente dans la trajectoire de maternité en Afrique, particulièrement au Gabon.
Méthodologie
25Pour mener à bien cette recherche, nous avons eu recours à une approche qualitative. Cette approche s’est faite en accord avec le cas retenu pour cette étude. Ici, la question des enjeux psychiques liés à la grossesse précoce et à la maternité adolescente qui s’en suit est au centre. Les enjeux psychiques sont, pour notre part, liés à l’histoire familiale. Quatre entretiens semi-directifs ont été effectués en face-à-face dont trois durant la grossesse et un après l’accouchement. Ainsi, nous tenterons de voir si ce qui est décrit et expliqué à travers les grossesses précoces et la maternité des adolescentes reflète bien une réalité spécifique au Gabon.
Participant
26Rencontrée dans le cadre du suivi de sa grossesse à la PMI, Claire jeune fille de 16 ans est une gabonaise et est enceinte de 32 semaines lorsque nous l’avons rencontré pour la première fois. Ainsi, Claire s’est prêtée au jeu de l’entretien semi-directif, trois fois à la PMI et une fois à son domicile. Les entretiens ont été enregistrés avec son accord et ont duré trente minutes à une heure environ. L’entrée de Claire dans la maternité est aussi une entrée dans des structures dites de suivi et de soutien à la parentalité. Dans le cas présent, il s’agit d’une protection maternelle infantile.
27Claire a été recommandée au service de psychologie de la protection maternelle infantile par la sage-femme suite à une crise de larmes et à sa déclaration : « je me sentais vide avant, c’est comme si ce vide n’existait plus ». Ayant assisté à l’entrevue entre le maitre de stage et Claire, le psychologue stagiaire, lors du séminaire de Master professionnel où chaque étudiant doit rendre compte des activités sur le terrain, a rapporté ce fait. Travaillant sur les problématiques adolescentes, nous avons voulu en savoir un peu plus. Ainsi, nous nous sommes rapprochés dudit service auprès de qui nous avons sollicité une rencontre avec la patiente en adressant une demande écrite afin d’avoir leur accord et celui de Claire sur la participation à la recherche.
28Nous avons été contactés par la psychologue un mois après la demande et durant cette rencontre, elle nous a présenté la jeune fille dans le but de discuter avec elle, avec son accord bien sûr, sur les questions de grossesses précoces pour une visée de recherche. Ainsi, nous avons fait connaissance avec elle, et nous lui avons donné notre numéro de téléphone au cas où elle souhaiterait participer à la recherche. Dix jours plus tard, nous avons reçu un appel d’elle et sur le champ nous avons pris rendez-vous pour nos entretiens.
Matériel
29Cet article s’appuie sur une étude de cas par le truchement de l’entretien semi-directif. C’est une étude qualitative dont l’objectif est la compréhension plus fine du phénomène des grossesses/maternité à l’adolescence. Quatre entretiens ont été effectués. En effet, ils se sont déroulés pour la plupart au sein de la PMI. Parmi les quatre entretiens effectués, trois se déroulés dans le bureau du psychologue et un à domicile. Dès le premier entretien, elle s’est montrée un peu timide, tête baissée, triste et ne sachant pas par où commencer disait-elle à notre première rencontre.
30Elle avait du mal à sortir des mots de sa bouche, privilégiant une feuille et un crayon qu’elle avait demandés pour représenter un trou sans objets. A la deuxième séance, Claire étant plus rassurée, elle nous a entretenu sur son vécu avant les informations relatives aux circonstances du décès de sa mère et puis son vécu après les avoir reçues, sur son histoire familiale et le lien à la grossesse. Cette évocation a permis davantage à notre cas d’exprimer ses émotions, son angoisse en lien avec le vide ressenti. Elle raconte avec beaucoup d’émotions comment elle vit l’absence de sa mère, mais aussi le manque affectif lié à la presque absence du père et au lien à la femme du père, mais aussi et surtout le rôle de la maternité dans sa vie. Puis nous sommes revenus sur le « trou » représenté sur la feuille en nous servant de notre guide d’entretien.
31Cette recherche s’est attachée à analyser en profondeur un fait et en saisir le sens à partir de l’écoute de la parole de Claire en tant que sujet de recherche avec qui la co-construction du savoir est possible (Paillé et Mucchielli, 2012). Elle visait non seulement à étudier les verbalisations de l’adolescente, mais proposait un dispositif impliquant différents temps et situations de prise de parole à travers les entretiens potentiellement transformateurs, dans la mesure où ils ouvraient des espaces au sein desquels elle pouvait se penser à partir d’une écoute d’elle-même et du psychologue. L’ayant rencontrée à la PMI et dans son contexte familial, nous avons veillé toutefois à mettre en place des espace-temps spécifiques et différenciés à l’intérieur de l’institution, où elle pouvait se sentir en confiance, en l’encourageant en même temps par notre regard et écoute analytiques qui lui permette de parler, de s’écouter et de réfléchir à ce qu’elle vivait dans le service de la PMI et dans son contexte familial.
32Le dispositif comprenait d’abord un entretien individuel semi-dirigé approfondi (Cyssau, 2003) variant de trente minutes à environ une heure. La consigne l’invitait à parler de son expérience vécue et était complétée de questions ouvertes, si besoin de relance, permettant d’explorer ses affects et attentes par rapport aux thèmes de la relation aux parents, à la grossesse, à la maternité et à l’amour. Il s’agissait de comprendre les enjeux psychologiques de la grossesse/maternité adolescente. De ces entretiens en profondeur ont été retracés une histoire de vie. Dans un deuxième temps, elle a été questionnée sur le dessein représenté sur la feuille.
33Toutes ces informations précieuses sur les processus psychodynamiques l’ayant inscrite dans la maternité vont être analyser et de discuter.
Résultats et discussion
Présentation et analyse thématique du cas Claire
Histoire de Claire
34Claire, 16 ans, raconte qu’elle voulait aller vivre (à 7ans) avec son père pour soulager sa grand-mère financièrement. Elle partage sa vie entre le domicile de sa grand-mère et celui de son père (elle y va quelques weekends et vacances). Le copain de Claire a 19 ans, il est étudiant en Licence II dans une école supérieure (Libreville). Il vit avec ses parents et Claire le décrit comme un garçon attentionné, stable et respectueux. Elle le décrit comme le grand-frère qu’elle aurait aimé avoir. Elle dit l’aimer et éprouve le désir d’élever son enfant avec lui. Marie (mère de claire) est décédée, alors qu’elle n’avait que 17 ans, juste après avoir mis au monde Claire qui vit avec sa grand-mère depuis sa sortie de la maternité, elle n’a donc jamais sa mère Marie.
35La grand-mère de Claire âgée de 58 ans est décrite comme une femme instable du point de vue affectif car elle a eu plusieurs amants. Son père, quant à lui, âgé de 45 ans est marié et père de cinq enfants (quatre avec sa femme) dont Claire est l’aînée. Il voit sa fille régulièrement mais n’a jamais accepté de la garder pour éviter les problèmes dans son foyer.
36Claire a accouché d’une fille qu’elle nomme Marie comme sa mère. Elle se sent coupable de la mort de sa mère décédée en couche. Elle a toujours été une enfant solitaire raconte-t-elle et pour se sentir moins seule elle a accepté d’être amie à son copain qui est devenu le père de son enfant.
Analyse de contenu thématique et commentaire
37Nous exposons une synthèse des résultats de cette recherche pour montrer la complexité des dimensions psychodynamiques de la grossesse et de la maternité à l’adolescence chez Claire. Au départ, il faut souligner d’abord une certaine résistance à parler d’elle et d’évoquer ses sentiments, son histoire de vie et son intimité à une personne étrangère. Certainement, lui demander de parler d’elle nécessitait qu’elle aborde son histoire et son ressenti face aux événements négatifs de vie vécus car, dans son entourage personne ne s’est demandée comment elle vivait la mort de sa mère « chez moi, personne ne s’y intéresse vraiment ou encore comment je vis la grossesse ».
38Estimer que nous pourrions nous intéresser à son ressenti sans la juger et la punir a fait qu’elle se situe non seulement par rapport à sa parole mais aussi par rapport au fait de faire confiance à cet autre. Claire a surmonté ce ressenti comme elle a pu durant les entretiens en instaurant une écoute bienveillante et contenante. Ces échanges lui ont été bénéfiques car à la fin, elle a affirmé avoir trouvé un réconfort à travers la parole.
39Les entretiens semi-directifs ont permis de détecter l’existence d’une zone de vulnérabilité pré pubertaire chez Claire. Cette zone est influencée par les singularités de son histoire. Ainsi, nous devons dans la construction de l’être humain prendre en compte à la fois, la part de l’environnement si nous nous référons à Wawrzyniak et Schmit (2008, p. 34) et le potentiel psychique de l’individu car dans une perspective purement développementale et psychopathologique, l’être humain est génétiquement social.
40En gros, l’analyse de contenu thématique a permis de faire ressortir deux dimensions : maternité adolescente expression d’un désir œdipien mal assumé/un désir inconscient de répétition maternelle ; grossesse précoce/maternité adolescente comme moyen de restauration narcissique. Voici ce qu’elle raconte :
41« …Depuis petite, je savais que j’allais tomber enceinte et devenir mère très jeune. J’avais ce désir en moi, … En plus sa femme ne m’aime pas, elle prend tout de mon père, elle a pris la place de ma mère, je lui en veux, elle m’énerve, … Dans ma tête (sourire), je savais que je voulais devenir mère et j’avais le présentiment que ça allait bien se passer ».
Maternité adolescente : désir œdipien mal assumé/désir inconscient de répétition maternelle
42Hurstel (2004, p.557) établit l’adolescence comme étant la période de résolution du complexe d’Œdipe permettant à l’adolescent de désinvestir père et mère pour investir la libido hors de la famille. En effet, dans la situation œdipienne, l’adolescente éprouve un désir fantasmatique et inconscient d’avoir un enfant du père, et va passer par l’acte sexuel avec le partenaire, substitut de l’image paternelle. Ainsi, Mouras (2004, p.99) conçoit la maternité précoce comme un moyen de rivaliser avec sa mère et prendre sa place en tant que parent.
43Pour revenir au sujet de cette recherche, nous avons relevé depuis son enfance une élaboration d’un fantasme de petite fille à travers le passage suivant :
« Depuis petite, je savais que j’allais tomber enceinte et devenir mère très jeune. J’avais ce désir en moi et j’imaginais à quoi allait ressembler mon enfant, je voulais qu’il ressemble à mon père même si c’est une fille, … tout était dans ma tête. Je savais qu’avec cet enfant je n’allais plus être seule et ressentir ce vide qui est en moi. Mon père a sa femme donc ce n’est pas son souci, … C’est elle qui reçoit tout de lui ».
44Ce passage illustre bien l’état mental dans lequel s’est toujours trouvée Claire depuis son enfance. Nous pouvons évoquer ici l’élaboration d’un fantasme de petite fille qui finalement à l’adolescence s’est transformé en désir de maternité. Nous supposons que la maternité de Claire a été d’abord psychique ensuite physique. Ainsi, son désir d’enfant semble en partie lié à sa situation œdipienne. Dans ce sens que le désir de maternité n’est qu’un moyen pour le cas de cette étude d’avoir un objet « phallique » sur lequel elle prendrait désormais appui.
45De plus, la lecture du passage montre une réactualisation du désir œdipien à travers le fantasme d’avoir un enfant qui allait ressembler à son père. Ainsi, la grossesse et la maternité précoces peuvent être ici le signe d’une rivalité avec la belle-mère qui mobilise à elle seule l’amour de son père. De ce fait, passer à l’acte avec son copain, qui symbolise le substitut du père, correspondrait à la rivalité éprouvée à l’endroit de la femme de son père.
46Claire dans son discours fait état des sentiments hostiles face à sa belle-mère.
« En plus sa femme ne m’aime pas, elle prend tout de mon père, elle a pris la place de ma mère, je lui en veux, elle m’énerve, il m’arrive de ne pas lui adresser la parole quand je vais là-bas parfois j’ai des idées noires sur elle ». Elle ajoute : « Je suis très proche de mon père même si je ne reste pas avec lui, enfin j’étais proche surtout quand j’étais enfant ».
47L’hostilité est visible dans ce récit. En effet Claire témoigne ainsi de sa rivalité envers la belle-mère en cherchant inconsciemment à prendre sa place en tant que mère et en ayant un substitut de l’image paternelle. Tout se passe comme si de façon inconsciente elle voulait briser les liens avec le père de l’enfant, faisant ainsi la place à un père fantasmatique.
48L’adolescente doit renoncer à son père, mais la réactualisation des conflits infantiles et la trop grande proximité d’avec l’objet qu’est le père a engendré une excitation troublante qui angoisse Claire au point de trouver une sortie que dans « l’acting out » sexuel. Il pourrait s’agir ici de désymbolisation parce que Claire a traduit en acte le fantasme à travers l’acte sexuel.
49Outre le désir œdipien mal assumé, ne pouvons-nous pas évoquer un autre enjeu psychodynamique, notamment, le désir de reproduction du schéma de la mère de manière inconsciente chez ce sujet d’étude comme le témoigne l’extrait suivant ?
« Je n’étais pas surprise de me retrouver enceinte. …, on ne s’est jamais protégé et je savais que ça pouvait m’arriver et je n’ai jamais pris des dispositions. Dans ma tête (sourire), je savais que je voulais devenir mère et j’avais le présentiment que ça allait bien se passer mon accouchement pas comme ma mère qui n’avait pas survécu à ma naissance car elle était jeune presque mon âge ».
50Être enceinte pour Claire à 16 ans semble signifier qu’elle reproduit le schéma de sa mère. En effet, le désir d’être ou de devenir mère presque au même âge que sa mère peut être le signe d’une répétition maternelle. Elle raconte avoir reçu les informations sur la grossesse de sa mère par sa grand-mère : « ma grand-mère m’a dit que ma mère est tombée enceinte à 16 ans, c’est comme si je n’attendais que cette information pour être enceinte parce que dans ma tête je savais que je le voulais ». Tout ceci peut supposer que l’information est passée comme si la grand-mère avait validé inconsciemment le fantasme de Claire. Ainsi, une transmission de maternité à travers la reproduction du modèle maternel est de facto mise en évidence. L’histoire de reproduction d’une séquence similaire parait singulière, ce qui explique alors la transmission et la rend complexe.
De la grossesse précoce/maternité adolescente à la restauration du narcissisme
51Claire dans son discours laisse entrevoir une forte dépendance émotionnelle face à son petit ami. Toute cette dépendance prend source dans le sentiment de manque d’amour ou de présence irrégulière de son père, manque qui semble accentuer la douleur de ne plus avoir une mère. Voici ce qu’elle raconte :
« Je regrette de ne pas vivre avec mon père, même si je le vois, il me manque. Si ma mère vivait, je n’allais pas vivre tout cela. … En plus sa femme ne m’aime pas, elle prend tout de mon père, elle a pris la place de ma mère, je lui en veux, elle m’énerve, il m’arrive de ne pas lui adresser la parole quand je vais là-bas parfois j’ai des idées noires sur elle. Elle ne me soutient pas et je suis sûre que c’est elle qui n’a jamais voulu que je reste avec mon père. Ma mère me manque, je sais qu’elle m’aurait soutenue, aimée et protégée ».
52Soulignons que Claire orpheline, entretient des relations difficiles avec sa belle-mère même si avec le père le conflit n’est pas manifeste. Tout de même, nous pouvons supposer qu’elle souffre de ne pas avoir été investie affectivement. Elle se sent mise de côté non seulement par le père dans la relation œdipienne (père, mère, fille) qui permet à la petite fille, se sentant aimée par le père, de se détacher partiellement de la relation affective avec la mère et d’aimer dans une position active (Freud, 1992, p.28) ; mais aussi par la belle-mère qui ne favorise pas cet investissement affectif.
53Le manque d’affection protectrice a fragilisé le cas de notre étude. En effet, le petit ami est vu comme un substitut d’affection et de tendresse. Ainsi, éprouvée par ce vide non comblé, l’adolescente est conduite à adresser par transfert une demande et un besoin d’affection au jeune homme qu’elle fréquente, comme le témoigne l’extrait suivant :
« Mon copain tient un rôle de grand frère que je n’ai pas eu, même si j’ai un frère du côté de mon père ce n’est pas pareil car c’est le fils de sa femme. … Il a comblé le vide, la place n’est plus totalement vide, … ».
54Ces expressions de Claire, qui n’a jamais vécu avec son père, traduisent un désir profond d’avoir un frère qui aurait pu servir de soutien et d’étayage à ces liens impossibles.
55Par ailleurs, le copain prend la place de l’objet du désir qui pourrait combler le manque dans l’imaginaire de Claire. Cependant, désirer un petit ami pourrait être confondu à une demande d’amour, certainement le besoin affectif serait un besoin d’amour précoce. Dans cette demande on peut voir une forme d’idéalisation qui, le plus souvent, a lieu dans la rencontre amoureuse qui conduit au sentiment de réparation narcissique (Freud, 2005, p.218). Ce qui pourrait justifier le fait que cet amour soit encore et davantage longtemps idéalisé. On se rend bien compte que chez Claire l’idéalisation de l’amour est teintée d’une forte ambivalence car elle a le sentiment d’en avoir été privée ou grièvement dépossédée de l’affection de son père depuis l’enfance.
56D’autre part, Claire a exprimé la peur de mourir en couche et de laisser son bébé seul sans l’amour d’une mère et pourtant elle dit qu’être enceinte était la seule issue pour elle de combler le vide ressenti en elle. Il est question d’un recours au corps pour exprimer sa souffrance psychique. Ainsi, grossesse et maternité précoce chez Claire seraient vues comme un passage à l’acte, permettant non pas de s’opposer aux parents, ou de se détacher de sa famille mais de trouver dans la maternité un apaisement psychique, voire une restauration du narcissisme. Claire raconte :
« Je me sentais bien avec ma grossesse, je ne suis plus une enfant, je savais ce qui allait se passer avec le bébé, … avoir mon enfant me ravit, plus rien n’a de sens dans ma vie, elle est venue me sauver ».
57Cet extrait prouve à quel point le cas a investi sa grossesse et son bébé. L’investissement de la grossesse et de son bébé conjecturent que Claire se sent dans de bonnes dispositions psychiques, en tant que mère symbolique pouvant protéger et éduquer sa fille. Il s’agit d’une forme d’engagement dans la relation d’amour infantile où le bébé va l’accompagner et l’aider à supporter la solitude ressentie. « Cet enfant, c’est toute ma vie. Je lui donnerai tout ce que je n’ai pas pu avoir de ma mère parce qu’elle n’est plus de ce monde. … Au moins je ne suis plus seule au monde ».
58L’extrait du discours précédent révèle un investissement total de la grossesse et de l’enfant à sa naissance comme si en l’investissant, il venait combler le vide affectif laissé par le décès de sa mère.
59Ainsi, l’investissement affectif joue un rôle dans la structuration du narcissisme de Claire. On est tenté de le définir en termes d’investissement affectif du moi à travers une image qui lui donne une représentation structurante, comme si pour Claire, l’enfant vient représenter une extension de son narcissisme de base où l’objet supposé comble son manque ou encore la sécurise.
60Ainsi, pour l’adolescente, l’impensé d’une maternité « non planifiée » a pu être vécu psychiquement comme quelque chose qui vient réparer le narcissisme et qui sert d’étayage affectif pour construire sa vie. Autrement dit, être enceinte et prendre soin de son bébé lui a permis d’entamer la restauration de son narcissisme fragilisé par l’adversité, notamment le décès de sa mère qu’elle n’a jamais connu et le type de relation affective qu’elle entretient avec son père et sa belle-mère.
Discussion
61Nous avons abordé, à partir d’une vignette clinique, la question des enjeux psychodynamiques d’une adolescente scolarisée, qui malgré son histoire personnelle est devenue mère. En effet, deux dimensions singulières ont retenu notre attention chez Claire à savoir : désir œdipien mal assumé /désir inconscient de répétition maternelle ; maternité adolescente comme un moyen de restauration narcissique de Claire. Ce résultat relevé chez le cas de cette étude rejoint ceux de Mourras (2004) et Le Van (2006).
62Nous avons, de par l’analyse de contenu thématique mis le doigt sur deux thématiques importantes sur lesquelles nous allons mener notre discussion : défaut de symbolisation et restauration narcissique du sujet. En effet, la maternité chez Claire semble être une manière de rivaliser avec la femme du père qui mobilise l’amour du père. C’est Ainsi que Mourras (2004, p.98) observe que l’adolescente passe par l’acte sexuel avec un partenaire, substitut fantasmatique du père, pour pouvoir mettre en acte cette rivalité avec la mère. C’est comme si, Claire témoignait de son agressivité envers la belle-mère en cherchant à prendre sa place en tant que parent avec un substitut de l’imago paternelle. Il semble que l’acting out à travers l’acte sexuel traduise un défaut de symbolisation.
63Nous évoquons la défaillance de symbolisation puisque chez l’adolescente, le passage à l’acte sexuel est venu remplacer le fantasme. En effet, il montre clairement la problématique de dépendance. Claire adolescente doit renoncer à son père, seulement la réactualisation des conflits infantiles et la trop grande proximité d’avec le père (objet phallique) engendrent une excitation trop angoissante et qui ne trouve d’issue que dans l’« acting out » sexuel.
64La maternité chez Claire est étroitement liée non seulement au manque (décès de sa mère en couche) mais aussi aux types de relations affectives engagés avec les premières figures d’amour et d’identification au cours de l’enfance (notamment sa mère décédée, sa grand-mère qui a eu plusieurs amants, son père qui selon elle ne lui a pas montré suffisamment d’amour dans son enfance et sa belle-mère qu’elle prétend ne pas aimer). Ce résultat rejoint l’étude de Mourras (2004, p.98) et Le Van (2006, p.202) qui conjecturent que la maternité chez les jeunes mères provenant des milieux familiaux problématiques, avait une fonction réparatrice. Il est question de restauration de liens manqués dans l’enfance avec la mère. Ainsi, toutes ces expériences s’inscrivaient dans des modèles d’identité problématiques tels que les conflits familiaux, des conditions affectives discontinues.
65Nous pouvons alors comprendre d’emblée que Claire, à partir de l’histoire de sa naissance, mais aussi par la vie amoureuse de sa grand-mère se trouvait déjà dans un contexte de l’identité et de la relation sexuelle inscrite très tôt dans une relation intersubjective. Nous supposons que l’histoire de sa mère s’est logée dans son inconscient. D’ailleurs, Lacan (1966, p.512) affirme que l’inconscient est le discours de l’Autre, celui de la dynamique familiale.
66Ainsi, plusieurs voies de compréhension de la maternité de Claire peuvent expliquer la maternité précoce adolescente, notamment le désir œdipien mal assumé et le désir inconscient de reproduction de la situation originaire (Claire s’identifie alors à sa propre mère). Dans ce cas, nous nous alignons sur l’idée de Byldowski (1993, p.25) qui conjecture l’existence d’une maternité non seulement physique, mais aussi psychique. Ce qui expliquerait certainement le sens de certaines maternités adolescentes. Si tel est les cas nous rejoignons l’idée de Byldowski (1993, p.25) et de Mourras (2004, p.98) selon laquelle, la genèse du désir d’enfant serait en partie œdipienne. De ce fait, ce qui importe c’est l’enfant comme objet étant un objet phallique, un objet de l’ordre du symbolique.
67Il est à souligner que Claire même si elle ne vit pas avec son père, elle était quand même proche de lui jusqu’à l’entrée dans l’adolescence. Certainement, le rapproché père/fille a suscité une très forte angoisse ayant permis à l’adolescente de s’éloigner et de remplacer inconsciemment le désir œdipien et le fantasme par l’« acting out » sexuel. Cette idée corrobore la théorie sexuelle de Freud (2006, p.96) qui soutient que c’est d’abord le sexuel qui fait trace pour le sujet dans la relation, avant l’acte qui dans un deuxième temps vient à en éliminer la conséquence biologique. Ainsi, ancré dans l’expérience infantile, le sexuel, dans son sens élargi, renvoie à un excédent de tension impensable qui envahit la vie psychique, à travers les échanges corporels et la relation entre l’enfant et l’autre prenant soin, avant même que le petit d’homme prenne conscience de la différence des sexes. Face à cet excédent impensable qui a envahi sa vie psychique, l’adolescente investit l’ « acting out » pour non seulement lutter contre le vécu passif des transformations corporelles, mais aussi pour se défendre contre le risque lié au lien au sein de la famille Roman et Dumet (2009, p.208).
68On pourrait alors s’interroger sur la fonction des agirs, si nous nous référons à Cahn (1998, p.103), dans le processus de subjectivation à l’adolescence, et dire que les agirs adolescents ont une signification qu’il va falloir décoder singulièrement pour ce qui est de la mobilisation des processus de symbolisation/dé-symbolisation à l’adolescence.
69Par ailleurs, l’environnement familial du cas semble instable et défaillant. L’adolescente, semble-t-il, exprime ainsi une carence affective précoce, dans le réel d’un trop d’absence maternelle ou dans le symbolique de la parole du substitut maternel et de sa qualité de présence. La carence d’une mère « suffisamment bonne » (Winnicott, 1975, p.125), est comblée imaginairement chez l’adolescente par une mère idéalisée.
70Dans sa demande d’amour, et par le besoin de se construire psychiquement, elle disait se sentir attachée à sa mère et voulait faire comme elle. Cet environnement instable n’a pas permis à Claire d’intérioriser un environnement maternel suffisant et bon qui aurait pu développer en elle le sentiment de sécurité et le sentiment d’être aimée. A propos des carences affectives, Lemay, (2012, p.39) évoque un profond sentiment de perte sous forme de manque ressenti douloureusement par les enfants carencés. De plus, cette plaie béante serait vécue comme irréparable ou susciter un espoir irréel de retrouver l’objet du manque (Lemay, 2012, p.39). Ainsi, ces carences symboliques ou réelles de la présence maternelle et/ou paternelle l’ont inscrite inconsciemment dans le processus de maternité. Comme si, de manière inconsciente, être enceinte et avoir un enfant paraissait une solution pour retrouver l’amour du père idéalisé, représenté par le partenaire sexuel en tant que substitut, et plus profondément, de garder en elle, la mère idéalisée qu’elle n’a jamais connue, en tant que premier amour. Cette idée est corroborée par les travaux de Delassus (1990, p.102) et Byldowski (2008, p.126) qui insistent sur le fait que la maternité n’est pas seulement physique mais elle est aussi psychique.
71Au final, il semble que l’investissement affectif symbolise une représentation structurante du moi. Car il vient représenter une extension du narcissisme de l’adolescente, l’objet supposé combler son manque, voire la sécuriser. En ce sens, il lui offre une possibilité de consolation qui relance la rêverie face aux déceptions et pertes qui l’habitent. Ainsi, grossesse précoce et maternité adolescente sont liées à une défaillance des conflits intériorisés et à l’« acting out » sexuel qui est une modalité défensive pour traiter les conflits intérieurs
Conclusion
72De prime abord, la grossesse précoce et la maternité adolescente pourraient nous faire penser à la faille liée à l’intériorisation des conflits. Pourtant, cet « acting out » sexuel apparait sous-tendue par la conflictualité de la vie psychique de Claire qu’elle a actualisé au sens du miroir. Ce qui pourrait être synonyme d’une projection de la vie psychique. D’ailleurs, Sami-Ali (1986, p.110) n’a-t-il pas dit à juste titre que le corps est bien une surface de projection ?
73De plus, l’ « acting sexuel » donne la possibilité à l’adolescente de traiter les excitations. Cet « acting sexuel » témoigne et prouve bien l’exigence du travail d’intériorisation, de désymbolisation et d’appropriation subjective à l’adolescence, et cette exigence se manifeste et se déploie par la mise en acte du corps.
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