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39 ‖ JUIN 2024

Alakarbo Hassimou

Bagaji et son Baura : dynamiques politico-religieuses d'un village historique de l'Arewa au Niger (XVIe-XIXe siècle)

Article

Résumé

Cet article examine, sur une période allant du XVIe au XIXe siècle, les dynamiques politico-religieuses du village historique de Bagaji, situé dans la partie ouest du Niger contemporain. Enraciné dans l'histoire et la tradition, ce village offre un aperçu fascinant de la manière dont les aspects politiques et religieux se mêlent étroitement, façonnant ainsi la vie quotidienne de ses habitants. À travers une analyse approfondie des interactions entre les autorités politiques et religieuses, cet article met en lumière les dynamiques complexes qui sous-tendent la prise de décision, la résolution des conflits et la gestion des affaires communautaires. En analysant les rituels, les traditions et les croyances qui structurent la vie sociale de ce village, nous découvrons comment les notions de pouvoir et de spiritualité s'entrelacent pour former un tissu social unique. Cette étude offre un aperçu précieux de la manière dont les notions de pouvoir politique et de spiritualité religieuse se sont entrelacées pour façonner la vie communautaire dans l'Arewa historique.

Abstract

This article examines, over a period from the 16th to the 19th century, the political-religious dynamics of the historic village of Bagaji, located in the western part of contemporary Niger. Rooted in history and tradition, this village offers a fascinating insight into how politics and religion intertwine, shaping the daily lives of its residents. Through an in-depth analysis of the interactions between political and religious authorities, this article sheds light on the complex dynamics underlying decision-making, conflict resolution and the management of community affairs. By analyzing the rituals, traditions and beliefs that structure the social life of this village, we discover how notions of power and spirituality intertwine to form a unique social fabric. This study offers valuable insight into how notions of political power and religious spirituality intertwined to shape community life in historic Arewa.

Texte intégral

43-65

01/06/2024

Introduction

1En Afrique, ces dernières décennies, l’étude du passé notamment celle des origines est devenue un des domaines privilégiés de la recherche en sciences sociales et humaines. Cette nouvelle tendance de la recherche s’explique par une reconnaissance croissante de l'importance de l'histoire africaine, un mouvement de décolonisation des savoirs, une volonté de récupérer et de valoriser les identités culturelles et l'importance de l'histoire pour la politique et le développement notamment en ce qui concerne la décentralisation (Mbembe, 2001). Avec ce nouveau système gouvernance locale, la gestion politique et foncière des collectivités territoriales reviennent absolument aux autochtones. Le rapport de force entre les différents acteurs intervenant dans cette gestion pousse désormais les populations à vouloir s’informer sur leur origine. Cet article est une contribution à la connaissance du passé des localités de l’Arewa à l’époque précoloniale. Il vise à analyser les dynamiques politiques et religieuses du village historique de Bagaji tout en mettant un accent sur le rôle de Baura dans la gestion et l’administration du royaume. Bagaji est, en effet, un village situé à 10,84 kilomètres au nord-est de la commune rurale de Matankari dans le département de Dogondoutchi, région de Dosso. Il a été fondé dans les environs du XVIe siècle par les descendants de Koukey, le fondateur de la lignée des Baura (Hama, 1966, pp.153-154). Progressivement la petite bourgade connut une rapide évolution tant sur le plan spatial, démographique, économique que social au cours du XIXe siècle. C’est un village à vocation agricole traversé par le dallol mauri et qui bénéficie de la présence d’une mare semi-permanente (tapkin Bagaji). Cette entité historique de l’Arewa dispose aussi d’un important centre commercial : le « marché de Bagaji » qui s’anime tous les mercredis et draine un nombre important de commerçants et de marchandises de plusieurs localités du Niger et même des pays voisins. Grâce à ce marché, Bagaji est devenu « la sève nourricière » de la commune rurale de Matankari.1 La population est constituée majoritairement des hausa repartie en plusieurs sous-groupes. Ainsi, on distingue des Gubawa, des Arawa, des Adarawa, des Kurfayawa, des Sankayawa, des Dariyawa, des Gobirawa, des Badabatsawa, des Guijiya, des Rumbukawa et des Imanawa. A côté de ces populations sédentaires se trouvent des nomades composés exclusivement des Peulhs et des Touaregs. Le système éducatif et sanitaire sont développés et la culture compte parmi les plus riches du pays. La connaissance de l’histoire de Bagaji et de son Baura est indispensable pour la compréhension du processus de la formation de kasar Arewa. Cependant, malgré sa richesse historique et culturelle, cette entité reste peu connue des chercheurs au détriment de celle de Lugu, qui a eu à lutter contre la pénétration européenne vers la fin du XIXe siècle. La littérature n’est pas non plus fortunée sur ce pan de l’histoire de l’Arewa. Les rares auteurs qui se sont intéressés à la localité n’ont abordé que son volet social. Et pourtant, il est important de connaître comment ce village a-t-il navigué à travers les siècles entre les intrications politico-religieuses ? Quel a été son système traditionnel de gouvernance? Comment le Baura a-t-il réussi à concilier politique et religion dans la gestion et l’administration du royaume ? La méthodologie adoptée dans le cadre de ce travail a consisté à la lecture et à la consultation de nombreux ouvrages relatifs à l’histoire de l’Arewa (Piault

2Piault

3

4De Latour

5

6Les séjours sur le terrain notamment à Bagaji, à Matankari, à Togone, à Lugu, à Dubalma, à Bawada daji et à Doutchi entre 2020 et 2023 ont permis, à travers plusieurs types d’entretien, de recueillir des informations originales qui ont servi à la réalisation de cette étude. Les résultats ainsi obtenus offrent aux chercheurs et au grand public un aperçu précieux de la manière dont les notions de pouvoir politique et de spiritualité religieuse se sont entrelacées pour façonner la vie communautaire dans la région. Pour rendre l’analyse possible, nous proposons de partir de l’examen du contexte historique de la fondation du village de Bagaji, tenter de comprendre ce que peut être le rôle du Baura en tant qu’autorité politique et religieuse dans la gestion des affaires communautaires et la résolution des conflits.

Contexte historique de la fondation du village de Bagaji

7La fondation du village de Bagaji est le résultat de la dislocation de la première communauté villageoise de l’Arewa créée au XVe siècle par un groupe des Gubawa venus du Daura (Alakarbo, 2018 : 83). Ce petit groupe constitué par la Sarauniya

8sarauniya

9

10Gije

11

12Guji

13

2baura

Dislocation du village de Lugu et tentatives de la fondation d’une deuxième communauté villageoise

14Une fois s’installer à Lugu, la petite communauté va se fragmenter en de petits villages. La Sarauniya

15sarauniya

16

17dallol

18

19Piault

20

21mauri

22

23baura

24

25De Latour

26

27sarauniya

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« Pendant trois ans, il (Baura) était resté célibataire à Lougou. Un beau jour, il est venu dire à la sarauniya

29sarauniya

30

qu’il désirait se marier. « Je veux bien te donner ma fille mais à condition que tu abandonnes ta forge car le beau-fils de la saraounia ne peut pas pratiquer le métier de forgeron ». « Si j’abandonne la forge, comment pourrai-je me marier et nourrir ma famille, rétorqua le futur Baoura

31baura

32

 ? » Dans ces allées et venues sur le territoire de la saraounia, baoura Koukey

33Koukey

34

trouva l’emplacement actuel de Bagaji

35Bagaji

36

. Il s’y installa avec l’autorisation de la saraounia. Sur les conseils de cette dernière, il enterra tous ses outils de forge sous un arbre au flanc de Goulbi qui sépare l’actuelle demeure du baoura du grand quartier de Bagaji. Toujours suivant les conseils de la saraounia, chaque matin, Baoura venait à l’endroit où il avait enterré sa forge, prier dieu pour qu’il lui donne sa subsistance. Depuis, cet endroit est devenu le lieu du culte de tous les descendants du Baoura » épousa une fille de la sarauniya

37sarauniya

38

et se mit alors en quête d’une bonne place : il a cherché au Nord, il a fait deux jours, il n’a pas trouvé, il est parti à l’Est, il n’a pas trouvé, il est parti au Sud, il n’a pas trouvé, enfin, il a trouvé à l’Ouest une montagne. La sarauniya lui a demandé s’il pouvait s’installer. Il a répondu oui. Alors, elle lui a dit d’aller à la place qu’il avait choisie, mais dit-elle, la forge, il faudrait cesser ce travail. Alors, sarauniya a pris de la terre à l’endroit de son sacrifice et elle l’a donnée à baura

39baura

40

pour qu’il l’emporte avec lui et en couvre l’endroit où il enterra son enclume. A cet endroit, tout ce qu’il demandera, il l’obtiendra »

41Piault

42

43L’analyse de ces deux traditions font ressortir que Boubou Hama est beaucoup plus concis que Marc Henri Piault

44Piault

45

46sarauniya

47

34

48Lugu

49

50Une tradition recueillie à Bagaji indique que le premier Baura en quittant Lugu s’est d’abord installé à « Méré »,5 une localité se trouvant à une dizaine de kilomètres à l’est de l’actuel village de Bagaji. C’est un terrain giboyeux et qui est délimité sur sa partie orientale par des collines. Cette tradition n’a pas retenu la durée du séjour de ces premiers occupants sur ce site. Cependant, il semble que des problèmes d’eau auxquels est confrontée la population soit à l’origine d’un nouveau déplacement vers une autre localité beaucoup plus au sud. Ils s’installèrent, cette fois-ci, au pied d’une colline en forme d’une tour d’où le nom de « Toulloun Ayayé ». Ce site serait-il le lieu où la production du souchet est propice ?6 Ou bien Ayayé serait-il le nom de l’ancêtre qui a conduit le groupe sur le site en question ? Quoi qu’il en soit, il serait difficile, au stade actuel de la recherche, de déterminer le vrai sens de cette expression même si la plupart des informateurs interrogés sur la question pensent que Ayéyé pourrait beaucoup plus signifier un nom propre de personne qu’un nom commun de choses. Après un séjour de plusieurs années, ils abandonnèrent ce village au profit de Toudou, une autre localité se trouvant sur une altitude élevée d’où la signification de son nom. Toudou en langue hausa signifie dune ou hauteur. Le village de Toudou, contrairement aux deux précédents, n’a pas complètement disparu. Il existe encore sur ses ruines, un quartier portant le même nom. C’est ce dernier site qui sera à l’origine de la fondation de l’actuel village de Bagaji.

La fondation du village de Bagaji

51Bagaji est le terme consacré pour définir le vaste ensemble politico-religieux sur lequel règne la dynastie des Baura dans l’Arewa. C’est le deuxième village de la région après Lugu en termes d’importance historique et culturelle. Il

52Arewa

53

eBagaji garin Baura ! ba gaji7ya gajiaba gajiba gajiba gajibagji

54Comme on le constate, le débat sur l’origine du terme Bagaji est loin d’être clos. Les traditions qui l’alimentent ont toutes un fondement social autochtone. Mais en observant de près, le terme Bagaji est beaucoup plus proche des mots « baga ji » et « bagji ». Mais en prenant en compte le fait que toutes les traditions locales s’accordent pour dire que Bagaji a été fondé par un Baura, il y a de penser que le terme résulterait « Bagarbi », le nom du Baura qui aurait quitté le village de Toudou pour des raisons sociales pour aller fonder un nouveau village dans la vallée. C’est donc l’expression « garin Bagarbi » (village de Bagarbi) qui va connaître quelques modifications pour donner l’expression « garin Bagaji » (village de Bagaji). Quoi qu’il en soit, Bagaji, dans le contexte de l’Arewa, est un concept donc le contenu est beaucoup plus religieux que social. C’est dans ce village que va se dérouler l’essentiel des activités politiques et religieuses de cette communauté.

55En résumé, noter que le village de Bagaji a été fondé au XVIe siècle dans un contexte marqué par les mouvements migratoires et les échanges culturels dans la région qui sera plus tard appelée Arewa. Grâce à sa position stratégique, le village se prospéra et devient, au fil du temps, le siège d'une autorité politique et religieuse connue sous le nom de Baura. L’avènement de cette entité historique témoigne de l'importance de la région de l'Arewa dans l'histoire de l’espace nigérien. Il illustre aussi la manière dont les villages historiques de la région ont été façonnés par leur environnement géographique et par les interactions entre différentes communautés. L’étude du contexte historique de la fondation du village de Bagaji permet de mieux comprendre les origines et l'évolution du royaume azna géré et administré par le Baura.

Le Baura de Bagaji, une autorité politique et religieuse

56Avant l’avènement des Arawa au XVIIe siècle, le village de Bagaji était le centre politique de la région. Le pouvoir était incarné par un sarki, bien que la localité ait le statut d’un village. C’est pourquoi on parle de sarkin Bagaji (roi, souverain de Bagaji) en lieu et place de mai garin Bagaji (chef de village de Bagaji). Le système politique mis en place est un système patriarcal mais qui fait appel à plusieurs sensibilités. Ainsi, on distingue trois principaux responsables dans la gestion de ce pouvoir politico religieux à savoir : le Baura, la Magajiya et le Kara. C’est ce que les Bagazawa appellent « murhu ukku maganin dangolma ». Autrement dit, le trio qui assure l’équilibre et le bonheur de Bagaji.

57Dans ce système, le Baura exerce son pouvoir en toute souveraineté, mais il arrive qu’il soit contrecarré par le duo d’en face. C’est-à-dire la Magajiya et le Kara. Pour accéder au trône de Bagaji

58Arewa

59

dan mazatarkama8

Le Baura, définition et rôle dans la société azna de Bagaji

60Le baura

61baura

62

sarkin

63Lugu

64

65Piault

66

baura

67baura

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une épaisse bandelette de fer avec un bord tranchant comme un couteau et qui est porté par les Maguzawa

69Maguzawa

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dans la lutte appelée shanci

71Arewa

72

makera ». makera »

73Grand

74sarauniya

75

kowa ya taba Baura mai Bagaji, gobe da safe ana yi mi shi kuka e

76sarauniya

77

78baura

79

sarakunan

80Arewa

81

Le Baura et la question des sacrifices

82Dans toute la région de l’Arewa et au-delà, le village de Bagaji est considéré comme le socle du sacrifice. Bagaji tushen tsafi. Cette affirmation est d’autant plus vraie que même les appels à la prière ont été, à l’époque, complètement interdits. Tous les endroits qui ont servi des lieux de prière sont systématiquement brûlés. La seule religion qui prévalait était animisme. Le Baura et toute la population adoraient et vénéraient des dieux pour qui, de nombreux sacrifices sont faits chaque année principalement entre le sixième et le septième mois de l’année lunaire. Ces sacrifices qui se faisaient à des endroits précis ont pour but la protection du royaume contre les ennemies des cultures, la recherche de la paix, de la sécurité et de la prospérité pour toute la population du pays.

Tableau N°1 : résumé de l’essentiel des sacrifices pratiqués chaque année à Bagaji pour le bonheur de la population.

No

Lieux du sacrifice

Périodes du sacrifice

Animaux sacrifiés et objets d’offrande

Raisons du sacrifice

1

Aduwoyi (autel des épineux)

6e mois de l’année lunaire

un bœuf noir et un mouton noir9

- Pour la paix dans le pays

- Pour une bonne saison des pluies.

- Pour la santé et le bonheur dans le pays.

2

Kurhua (autel de kurhua)

6e mois de l’année lunaire

un bœuf noir

- Pour une bonne pluviométrie dans tout le pays.

3

Guinda chirwa (autel de l’épervier)

A tout moment

un bouc et un coq rouges

- Pour la satisfaction de n’importe quel besoin d’ici-bas.

4

Guidan duna (autel de duna)

A tout moment

un mouton bicolore « yankan bata »

- Pour le bonheur, la sécurité, la prospérité, la paix et le développement dans le pays.

5

Guindan saraouniya (autel de la sarauniya)  

A tout moment

une brebis blanche

- Pour toute mauvaise situation

- Pour tout mauvais sort

- Pour toutes calamités.

6

Toullou (autel de en forme de dune élevée)

A tout moment

un mouton et un coq blancs plus du gunba

- Pour le bonheur et la prospérité dans tout le pays

7

Guindan tsunstu (autel des oiseaux)

7e mois de l’année lunaire

un bouc et un coq de n’importe quelle couleur plus du gumba10

- Pour protéger les semis contre les oiseaux.

8

Guindan hawra (autel des criquets)

7e mois de l’année lunaire

un bouc et un coq de n’importe quelle couleur.

- Pour protéger les semis contre les criquets

9

Dusti iska (autel des vents)

7e mois de l’année lunaire

un bouc rouge

- Pour contrôler les vents pendant la saison des pluies

10

Guigan stomaye11 (autel de stomaye)

7e mois de l’année lunaire

un bouc et un coq de n’importe quelle couleur

- Pour protéger les cultures contre cette catégorie de criquets.

11

Bena12

7e mois de l’année lunaire

des poulets qui n’ont commencé à pondre.

- Pour une bonne campagne agricole dans le pays.

12

Dutsi kahau (l’autel de la colline de kahau)

7e mois de l’année lunaire

un bouc noir et un coq blanc

- Pour une bonne pluviométrie dans le pays

13

Toullou malaïka

(l’autel de l’ange)

7e mois de l’année lunaire

Un paquet du sucre

- Pour l’abondance des pluies dans tout le pays.

Données d’enquêtes terrain 2020-2023

83La lecture et l’analyse de ce tableau démontrent la volonté du Baura à œuvrer inlassablement chaque année pour le bonheur de la population de l’Arewa et au-delà de tout le pays. Il travaille nuits et jours pour la défense, la protection et la recherche du bien-être des populations. L’organisation et la pratique de ces activités ne sont pas des choses faciles. Elles nécessitent du courage, de la détermination et du don de soi. Durant toutes les années de son règne, le Baura lutte et de façon permanente contre les forces du mal en usant de ses pouvoirs spirituels. Le Baura vit pour le reste de la société, loin de tout confort. Les nombreux interdits qui entourent sa vie, son comportement vestimentaire et même l’environnement dans lequel il vit sont illustratifs. Etre Baura, n’est-il pas synonyme d’être sacrifier ?

84Le Baura, en tant qu'autorité politique et religieuse, a joué un rôle central dans la vie sociale et culturelle du village de Bagaji entre le XVIe et le XIXe siècle. En tant que chef politique et religieux, il exerçait un pouvoir absolu sur la communauté. Ses décisions sont sans appels mais être contrecarrées par le duo Magajiya-Kara. Il est parfois conseillé par un groupe d'anciens respectés du village, et les membres de la communauté parfois participent au processus décisionnel lors des assemblées communautaires. Les rituels de légitimation du pouvoir revêtent une importance particulière, conférant une légitimité sacrée au pouvoir du Baura et assurant la stabilité politique et sociale du village. Ces rituels sont l'occasion pour la communauté de reconnaître officiellement le nouveau souverain et d'exprimer son soutien à son leadership. Ainsi, l'étude du rôle du Baura dans la société azna permet de mieux comprendre la dynamique politico-religieuse du village de Bagaji et de la région de l'Arewa dans son ensemble. Elle souligne l'importance du leadership politique et religieux dans la vie des communautés historiques de l’espace nigérien, ainsi que l'interaction complexe entre pouvoir politique et spiritualité religieuse dans la société africaine précoloniale.

Les mécanismes de prise de décision et d'exercice du pouvoir

85Les mécanismes de prise de décision et d'exercice du pouvoir font référence aux processus et aux structures qui régissent la manière dont les décisions sont prises et mises en œuvre au sein d'une communauté ou d'une société. Ces mécanismes déterminent comment le pouvoir est exercé, et comment les décisions sont prises et appliquées dans les sociétés traditionnelles ? Dans le contexte du village de Bagaji, les mécanismes de prise de décision et d'exercice du pouvoir comprenaient en plus de l’Autorité du Baura, la Cour, le Conseil des anciens, l’Assemblée communautaire et le Rituel de légitimation du pouvoir.

La cour du Baura

86La cour ou le palais royal du Baura est la plus haute institution politico-religieuse de Bagaji. C’est là où se prennent toutes les décisions importantes qui concernent la vie du royaume. Elle se trouve devant la maison royale. C’est aussi l’endroit où le Baura rend son jugement et reçoit les salutations du grand public. Elle est animée par les grands dignitaires du royaume (le Baura, la Magajiya, le Kara, le Sarkin bori et le Mayaki) On note aussi la présence des plusieurs notabilités issues des lignages royaux.

Le Kara

87Le kara, qui signifie protection en hausa,

88galadima

89

karasawahe)tarkama

90tarkama

91

kara

92Basuwa

93

94dallol

95

96mauri

97

98Lugu

99

100Bagaji

101

dan macekara tarkama 13dan kasakaraKaraKaraKaraKaraKaraKara

La Magajiya

102Le terme « magajiya » qui signifie successeur en hausa est le titre généralement attribué dans le système patriarcal aux sœurs du sarki. A Bagaji, la magajiya est choisie parmi les sœurs des Baura de la lignée paternelle. Une fois désignée par la tarkama, la magajiya devient une dan kassa confirmée. Elle joue, avec le kara, le rôle de régulateur de la puissance du pouvoir de Baura. Elle participe activement à la gestion du royaume à travers ses conseils. Elle accompagne le Baura dans ses déplacements et reste à ses côtés

103baura

104

105Bagaji

106

MagajiyaMagajiyaMagajiyaMagajiya MagajiyaMagajiyaMagajiya

Le Sarkin bori

107Comme son nom l’indique, c’est le responsable de la corporation des dan bori (les adeptes du bori) qui sont nombreux et autonomes à Bagaji. Le sarkin bori est un titre prestigieux dans la communauté azna. Il est nommé par le Baura sur la base de son expérience et de son efficacité dans le domaine. C’est un personnage craint et respecté par ses sujets et très bien écouté par le Baura. Il assure la coordination entre le prêtre-doyen et les adeptes du bori. Il veuille à ce que l’environnement des esprits et la volonté des génies soient respectés. Il participe aux conseils des notables et ses avis sont souvent pris en compte dans les prises des décisions ; ce qui lui confère le titre du conseiller spécial du Baura en matière du bori. La sarautar bori est une fonction qui peut être exercée par n’importe quel membre de n’importe quelle famille du village de Bagaji.

Le Mayaki

108Le Mayaki

109Mayaki

110

111sarki

112

Le Conseil des anciens et l’Assemblée communautaire

113Le Baura est souvent conseillé par un groupe d'anciens respectés de la communauté. Ces anciens avaient une connaissance approfondie des coutumes et des traditions locales. Leurs conseils sont souvent pris en compte dans le processus de prise de décision. Font partie du Conseil des anciens, en plus de grands dignitaires de la cour, les représentants de tous les lignages royaux, les sages du royaume et les différents responsables des corporations. Ces derniers se composent du dambo (responsable de jeunes filles), de mai samari (responsable de jeunes garçons), de la sarauniya mata (responsable des femmes) et du sarkin kasuwa (responsable du marché). De manière périodique, le Baura réunissait l'ensemble de la communauté pour discuter des affaires importantes et prendre des décisions qui affectent le village dans son ensemble. Ces assemblées communautaires étaient l'occasion pour les habitants de Bagaji de s'exprimer et de participer au processus décisionnel.

Le rituel de légitimation du pouvoir

114Le rituel de légitimation du pouvoir est un ensemble de pratiques cérémonielles et rituelles visant à conférer une légitimité au pouvoir d'un dirigeant ou d'une autorité politique. Dans le contexte du village de Bagaji, le rituel de légitimation du pouvoir a été un élément crucial pour renforcer la position du Baura en tant que chef politique et religieux au sein de la communauté. Ces rituels se déroulent en grande partie lors de la cérémonie de la tarkama. La Tarkama

115Tarkama

116

117Arewa

118

119Basuwa

120

e

121Piault

122

tarkama

123tarkama

124

tarkama

125Le corps de baura

126baura

127

tara

128Bagaji

129

kara

130kara

131

, tarkama

132tarkama

133

karakara14tarkama

134Après la cérémonie de désignation du nouveau baura

135baura

136

137Lugu

138

baura

139Bagaji

140

141Lugu

142

143Sept jours après la désignation du nouveau Baura

144baura

145

sarki

146Bagaji

147

maigizo

148Après cette cérémonie, on procède à la construction de la paillote devant abriter les objets fétiches (dabi).15 Puis, le Baura

149baura

150

baurasawahe)KaraMagajiya

151magajia

152

153Les mécanismes de prise de décision et d'exercice du pouvoir à Bagaji témoignent d'une structure politique et sociale complexe, caractérisée par l'autorité absolue du chef politique et religieux, mais également par la consultation des anciens et la participation de la communauté dans le processus décisionnel.

Conclusion

154L'étude des dynamiques politico-religieuses de Bagaji et de son Baura entre le XVIe et le XIXe siècle révèle un tableau fascinant de la vie sociale et culturelle dans la région de l'Arewa, au Niger. Bagaji, en tant que village historique, a été le théâtre d'une interaction étroite entre les autorités politiques et religieuses. Sous le règne du Baura, chef politique et religieux, les mécanismes de prise de décision étaient étroitement liés à la structure socioculturelle de la communauté. L'autorité absolue du Baura, le Conseil des anciens, l’Assemblée communautaire et les Rituels de légitimation du pouvoir étaient autant d'éléments qui régissaient la vie du royaume. Les rituels de légitimation du pouvoir revêtaient une importance particulière, conférant une légitimité sacrée au pouvoir du Baura et assurant la stabilité politique et sociale du royaume. Ces rituels étaient l'occasion pour la communauté de reconnaître officiellement le nouveau Baura et d'exprimer son soutien à son chef. En parcourant cette période de l'histoire de la région, nous pouvons mieux comprendre comment le pouvoir politique et la religion étaient étroitement liés et comment ils ont façonné la vie sociale et culturelle des communautés de l'Arewa. Bagaji et son Baura constituent ainsi un exemple fascinant de la dynamique politico-religieuse des villages historiques de l’Arewa. Cette étude nous invite également à réfléchir sur l'héritage de cette dynamique politico-religieuse et sur sa pertinence dans le contexte contemporain. Enfin, elle souligne l'importance de préserver et d'étudier l'histoire et la culture des villages historiques de l'Arewa pour mieux comprendre le passé et le présent de la région.

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Notes

1 A titre d’exemple, chaque mercredi, la commune de Matankari réalise un chiffre d’affaires de cinq-cents à six-cent mille FCFA grâce aux seules taxes provenant de ce marché.

2 Un village situé à 35 kilomètres au nord-est de Doutchi.

3 Dans l’Arewa, à l’époque précoloniale, un gendre ne peut pas rester vivre chez ses beaux-parents.

4 Les Bagazawa sont les habitants du village de Bagaji. Un Babagaje au masculin singulier et une Babagaza au féminin singulier.

5 Méré en haussa signifie insuffisance, manque d’eau. Il semble que lorsque le premier Baura est venu annoncer à la Sarauniya qu’il a découvert un endroit stratégique pour s’installer. Elle a attiré son attention sur le fait que l’endroit en question est « méré ». Autrement dit, un endroit avec des problèmes d’eau.

6 Toullou (tour, élévation), ayayé (pluriel d’aya (souchet). Toulloun ayayé signifie donc « tour au tour de laquelle on produit des souchets » ou tour au pied de laquelle Ayayé est venu s’installer.

7 Cette expression trouve son fondement dans les traditions populaires de l’Arewa qui, pour demander l’état de santé d’une personne qui venait de fournir un effort physique important, on lui adresse la formule suivante : « ya gajia ? » (Et la fatigue ?) La réponse est généralement : « ba gajia », (il n’y a pas de fatigue).

8 Une institution mise en place dans le but, entre autres, de désigner les Baura.

9 C’est la peau de ce mouton qu’il porte en bandoulière, toujours suspendue à son épaule gauche.

10 C’est potion de couleur blanche fabriquée à l’aide du mil.

11 Une catégorie de criquets très ravageurs.

12 C’est une colline élevée. « Bena », serait-il le terme zarma « Béné » qui désigne la hauteur ?

13 Sauf que la cérémonie pour la désignation du Kara et de la Magajiya se fait à l’air libre tandis que celle du Baura se fait à l’intérieur d’une case.

14 Pour plus de détails sur la question de la tarkama dans l’Arewa, cf. Alakarbo Hassimou, 2018.

15 C’est le principal autel qui abrite le pouvoir spiritual du baura.

Pour citer ce document

Alakarbo Hassimou, «Bagaji et son Baura : dynamiques politico-religieuses d'un village historique de l'Arewa au Niger (XVIe-XIXe siècle)», Mu Kara Sani [En ligne], Numéro, 39 ‖ JUIN 2024, mis à jour le : 16/10/2024, URL : https://revue-irsh.org:443/mukarasani/index.php?id=283.

Quelques mots à propos de :  Alakarbo Hassimou

Institut de Recherch

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